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Jalal Talabani, président avisé, se remet après une attaque cérébrale

Hospitalisé à Bagdad à la suite d’une attaque cérébrale, le président irakien Jalal Talabani est l’une des grandes figures du nationalisme kurde. Considéré comme un négociateur influent, il tente d'apaiser les tensions dans le pays.

"En raison de son épuisement et de sa fatigue, [Jalal Talabani] a eu une urgence médicale et a été transporté à l'hôpital de Bagdad." C’est par ce communiqué que la présidence irakienne a annoncé, mardi 18 décembre, l’attaque cérébrale dont a été victime le chef de l’État, âgé de 79 ans. Alors que des rumeurs ont couru sur son décès, selon les autorités, il serait dans un état stable.

Pour Sandrine Alexie, fondatrice de l'Observatoire franco-kurde et membre de l’Institut kurde de Paris, ces nouvelles inquiétantes "tombent à un très mauvais moment". Élu président de l’Irak en 2005, Jalal Talabani a en effet réussi à stabiliser les tensions dans un pays aux équilibres confessionnels fragiles.

Selon cette spécialiste du Kurdistan, Jalal Talabani s’est montré très efficace à la tête de l’Irak : "Il est un génie pour régler les crises. Il a un rôle de négociateur et propose toujours des solutions diplomatiques. Alors que le Premier ministre, Nouri al-Maliki [de confession chiite, NDLR] s’entend mal avec les Kurdes et que, de l’autre côté, les Kurdes et les sunnites s’allient contre lui, Talabani sert de tampon".

Un avis partagé par le docteur Frédéric Tissot, ancien consul de France à Erbil, en Irak, qui le connaît depuis les années 1980 : "Même si le président n'a pas spécialement de pouvoir, il est là pour son savoir-faire. C'est un fin politicien. Grâce à son expérience, il arrive à faire en sorte qu'il n'y ait pas de guerre".

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La conférence de presse du médecin de Jalal Talabani

L’oncle Jalal

Depuis plus de 60 ans, Jalal Talabani est ainsi connu comme un diplomate hors pair et surtout comme l’une des figures du nationalisme kurde irakien. C’est dans les années 1960 qu’il gagne son surnom de "Mam Jalal" ("oncle Jalal", en kurde). À l’époque, il est un "peshmerga", un maquisard dans les montagnes du Kurdistan. Son engagement pour la cause nationaliste kurde suscite déjà l’admiration et la sympathie de ses camarades de combat. Il n’a pas encore 20 ans lorsqu’il devient membre du comité central du Parti démocrate du Kurdistan (PDK).

Un avion médicalisé en provenance de Turquie ?

Selon le site Hurriyet Daily News, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan souhaiterait envoyer un avion médicalisé à Badgad pour offrir des soins à Jalal Talabani.

Même si la Turquie attaque régulièrement les séparatistes kurdes dans les montagnes de l'Irak, le docteur Frédéric Tissot ne trouve pas cette annonce si étonnante : "Etant donné les liens étroits que Talabani a créé ces dernières années avec la Turquie, cela me semble normal. Tous les chefs d'État devraient en faire autant".

Le jeune homme, né en 1934 à Koy Sandjak, une petite ville de montage du Kurdistan irakien, s’est forgé une conscience politique alors qu’il suivait des études de droit à l’université de Bagdad. Son engagement se renforce après le coup d’État contre la monarchie irakienne en 1958 et le retour d’exil du général Moustafa Barzani (le fondateur du PDK), dont il devient l’un des lieutenants.

Moderniser la société

Mais les tensions entre le maître et le disciple sont de plus en plus fréquentes. Ambitieux, Jalal Talabani a une autre vision de la cause kurde, plus ancrée à gauche. "Il représentait une nouvelle classe d’intellectuels. Des révolutionnaires plus jeunes et éduqués par rapport aux anciens combattants. Il voulait moderniser la société par une révolution socialiste", explique Sandrine Alexie.

Au début des années 1970, Jalal Talabani est finalement mis à l’écart du mouvement après l’accord sur l’autonomie kurde signé par Saddam Hussein et le général Barzani. Ce n’est qu’en 1975 qu’il revient sur le devant de la scène. Profitant de l’effondrement du PDK à la suite de la signature des accords d’Alger entre l’Iran et l’Irak, il fonde sa propre formation, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK).

Les frères ennemis kurdes

Les tensions entre les deux composantes de la cause nationaliste kurde en Irak ne s'apaisent pas et se poursuivent jusqu’à la fin des années 1990. "C’était plutôt une rivalité personnelle qu’idéologique. Le beau-père de Talabani, Ibrahim Ahmed, s’entendait très mal avec Barzani", précise Sandrine Alexie. Des rivalités qui aboutissent à la partition de la région du Kurdistan autonome en 1992. La première zone autour d’Erbil est dirigée par le PDK, tandis que la seconde, au sud, est sous la direction du parti de Talabani.

Il faudra attendre l’intervention américaine en Irak en 2003 et la chute du régime de Saddam Hussein pour que les deux camps kurdes se rapprochent. Pour marquer cette réconciliation, Jalal Talabani est proposé à la présidence de la République irakienne, tandis que Massoud Barzani, le fils du général, devient président de la région kurde. L’ancien combattant des montagnes prend alors possession du fauteuil de son pire ennemi, Saddam Hussein. "On aurait jamais pu imaginer qu’un Kurde devienne président de l’Irak !", souligne Sandrine Alexie.

Un homme jovial et exubérant

Chef de l’État depuis sept ans, Jalal Talabani a aussi marqué les esprits par ses qualités humaines. Parlant couramment l’anglais et même le français, il est apprécié pour son hospitalité et sa culture. "Il est extrêmement chaleureux. Il est très jovial même quand je l'ai  rencontré dans les montagnes, une kalachnikov à la main. C'est un mec sympa", se souvient le docteur Tissot. De son côté, Sandrine Alexie décrit un style de vie exubérant qui aura fini par avoir raison de sa santé: "Depuis des années, il est malade. Il a été se faire soigner trois mois cet été en Allemagne. Il a des problèmes de cœur. Malgré tout, il aime les cigares et la bonne chère, il n’a jamais fait attention malgré son âge et sa corpulence".

Si l’état de santé du président Talabani se dégrade et qu’il venait à décéder, "c’est vraiment une grande partie de l’histoire irako-kurde qui disparaîtrait", estime la spécialiste, avant d'ajouter : "Malgré les rivalités, aujourd’hui tous les Kurdes sont effondrés. Il avait noué des relations avec tout le monde".

Concernant sa succession, Barham Salih, un politicien kurde de 52 ans, serait en bonne position pour prendre la relève. "C'est le nom qui revient le plus souvent. Il a été Premier ministre de la région autonome du Kurdistan et adjoint du Premier ministre Maliki. Il a une posture de négociateur car il a été à la fois dans le gouvernement irakien et dans le kurde", conclut Sandrine Alexie.