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Le tiraillement des artistes israéliens

Ils sont artistes, écrivains ou cinéastes et israéliens. Tous souffrent d’une guerre interminable. Attachés à leur pays et à leur création, ils ne se voient pourtant vivre nulle part ailleurs.

Il y a eu des sirènes à Tel Aviv, des peurs, des angoisses, mais heureusement relativement peu de dégâts, contrairement au sud du pays où les roquettes pleuvent, causant la mort de six personnes et bien entendu à Gaza où l’opération "Pilier de défense" menée par Israël du 14 au 23 novembre en réponse aux tirs de roquettes, a fait 163 morts. Les artistes, cinéastes, acteurs, et écrivains israéliens ne sont pas dupes. Au-delà de la guerre qui a une nouvelle fois enflammé la région, il y a eu le 27 novembre 2012 le vote et la reconnaissance de la Palestine comme Etat non-membre à l’ONU, la réponse d’Israël avec la construction de 3000 logements à Jérusalem-Est et dans des colonies en Cisjordanie. Et le sentiment partagé par cette communauté d’artiste largement marquée à gauche, qu’Israël se retrouve de plus en plus isolé sur la scène internationale. Comment ces artistes israéliens vivent-ils cette situation ? Jusqu’où leur voix porte-t-elle ? En quoi cette situation mobilise-t-elle, ou sidère-t-elle encore?

Tel Aviv, la bulle percée

Pour l’écrivain Etgar Keret, oui, il a fallu d’abord penser à son fils. Pour la cinéaste Keren Yedaya (Mon Trésor, Jaffa), "les bras (lui) en sont presque tombés, mais il fallait porter ses deux enfants-le dernier agé de quelques mois seulement-, descendre les escaliers de l’immeuble à toute vitesse et les mettre à l’abri". La chanteuse Noa a pensé désespéramment au "cycle de violence, futile, frustrant et misérable" qui s’empare de la région toute entière, de Sderot au sud d’Israël, à Gaza. L’actrice Yaël Abecassis a cherché où se cacher dans la rue en prenant par la main des personnes âgées rescapées de la Shoah. Le cinéaste Nadav Lapid (Le Policier) a eu lui l’occasion de "passer trois alarmes" à Tel Aviv avant de s’envoler des festivals et y présenter son film.

L’écrivain Moshe Sakal s’est "senti presque soulagé de connaître la peur, le tumulte, le grondement des missiles" percer la bulle de Tel Aviv. Et le cinéaste Beni Torati s’est souvenu de son mariage, célébré de force-en 1991- dans le bunker sous les bombes lâchées par Saddam Hussein, de la sortie de son film Desperado Square en 2000 en pleine seconde intifada, et de celle de son dernier ce mois-ci, à nouveau bousculée par l’actualité.

Rester, travailler ou aller vivre sur la Lune

"Je ne change pas d’avis", assène Keren Yedaya, qui "pense aux enfants à Gaza qui n’ont pas d’alarmes pour se réfugier". "Nous sommes responsables de cette situation", dit-elle pour accuser la politique de son pays, Israël, et son gouvernement coupable d’aveuglement, d’ "entêtement et d’agressivité" envers son voisin palestinien.
Etgar Keret, 45 ans, l’un des écrivains les plus populaires d’Israël, raconte dans un texte publié par le journal Libération comment il doit faire face à la colère de son fils de sept ans, qui désire se venger après les sirènes et les premières roquettes sur Tel Aviv. "Je ne suis pas contre que nous nous défendions", dit-il, "mais le gouvernement n’entame aucun dialogue et se rétracte de toute responsabilité derrière l’excuse : nous n’avons aucun partenaire pour la paix."

Moshe Sakal doit écrire. Pas de romans, mais des articles comme sa tribune publiée

récemment par le quotidien Le Monde. Pour témoigner de la situation, et insinuer une autre voix. "On ne peut pas être artiste israélien et apolitique", dit-il. "Un écrivain doit d’être engagé". Mais, moins idéaliste que ses aînés, David Grossman, A.B. Yehoshua, ou Amos Oz, il sait aussi que ce dialogue avec les Palestiniens s’avère parfois difficile, mais pense que cela ne doit dispenser ni les uns et les autres de s’asseoir autour de la table.

Nadav Lapid se sent, lui, "étranger" dans son propre pays et s’excuse d’être "si pessimiste". "On n’a aucune influence sur qu’il se passe ici", dit-il amèrement. ""Personne ne nous écoute. Nos films ne représentent rien". La paix ? "Un cliché !", et de mettre à l’index le système d’éducation israélien qui protège et conforte son propre camp, en insistant sur le rôle de "victime alors qu’Israël est en position de force et d’occupant".
Le réalisateur Beni Torati, né en Israël de parents venus d’Iran, nuance. Il dit comprendre la responsabilité du gouvernement israélien qui craint ce choix qui le conduirait inéluctablement à céder de nouveaux territoires. La part d’inconnue est terrible, explique-t-il, et avec elle le risque de voir se répandre le fanatisme ou la terreur "comme avec le Hamas dans la bande de Gaza".

"Je ne fuis pas", proclame l’actrice et productrice Yaël Abecassis. "Je reste ici, je travaille". Son dernier projet est de produire un long-métrage qui mettrait en scène un jeune arabe israélien. Justement pour rencontrer les problèmes auxquels se confronte la société israélienne, pour tenter d’éveiller les consciences, même si, réaliste, elle sait que le travail est à faire aussi "de l’autre côté".
Mais, elle-même "voyage de moins en moins en dehors d’Israël", car être israélien, c’est porter ce conflit en soi, et à travers le monde. Devoir parfois se justifier d’être Israélienne devient pesant.

La chanteuse Noa, elle, doit faire face aux attaques de l’intérieur lorsqu’elle défend ses positions en faveur de deux peuples pour deux nations selon la ligne d’armistice de 1967, avec échanges de territoires et partage de Jérusalem. "Sinon, quelle est l’alternative ?", demande-t-elle. "Envoyer mon fils et mon petit-fils continuer cette guerre abominable et interminable, ou bien partir en Australie, ou sur la Lune ?"
Et puis non, décidément, ne pas partir, mais écrire, planter sa caméra, puiser là constamment la source et le moteur de sa création.