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Blessé à Siliana, David Thomson témoigne : "la police a tiré aveuglément"

Alors qu'il couvrait les manifestations à Siliana, en Tunisie, le correspondant de FRANCE 24 a été grièvement blessé par des tirs de chevrotine. Soigné dans la région parisienne, il revient sur cette journée du 28 novembre.

David Thomson, correspondant de FRANCE 24 et de RFI à Tunis, a toujours 40 billes de plomb de chevrotine dans le corps. Les médecins doivent vérifier qu'il n'y a pas de risque qu'une balle puisse boucher une artère. Sinon, il devra vivre avec. Le journaliste a été grièvement blessé aux jambes par des tirs à la chevrotine à Siliana (sud-ouest de Tunis), alors qu'il tournait un reportage sur les manifestants qui réclamaient la démission du gouverneur de la ville. Pris en charge à La Marsa, près de Tunis, 14 balles ont déjà été retirées par les médecins tunisiens. Il est à présent soigné dans un hôpital de la région parisienne.

Pour l'instant, les autorités tunisiennes n'ont pas présenté leurs excuses. "Je n'en demande pas forcément, explique David Thomson, mais elles seraient surtout nécessaires pour les manifestants qui ont été touchés aux yeux."

Pas de tirs de sommation

C'est au troisième jour des émeutes que David Thomson a décidé de se rendre en compagnie de son confrère tunisien Hamdi Tlili dans cette ville reculée du pays, en contre-bas d'une colline. "Je n'avais pas pris la mesure de la gravité des manifestations. Je n'ai jamais vu une telle violence en deux ans de reportage en Tunisie. Une fumée sortait du centre-ville, des pneus brûlaient." Après avoir prévenu la police et la garde nationale de leur présence, les deux journalistes vont interviewer les manifestants, dont certains portent des cagoules et jettent des pavés.

"Nous avons été très chaleureusement accueillis par les jeunes. Ils nous expliquaient leurs revendications : que le gouverneur entreprenne des réformes pour désenclaver la ville, construire des infrastructures et aider l'économie à sortir du marasme. Alors que nous étions en première ligne des manifestants, la police a tiré des gaz lacrymogènes. La foule fuit vers une rue adjacente. C'est alors que, sans sommation, la police tire avec des chevrotines. Je me retrouve à terre. Hamdi, qui a été blessé au dos, me porte jusqu'à l'ambulance, qui est déjà bondée de personnes plus gravement touchées que nous. Plusieurs perdront un œil."

Bien qu'il portait un logo FRANCE 24 sur ses habits, David Thomson ne pense pas pour autant avoir été visé en tant que journaliste. "La police a tiré aveuglément. Elle s'est laissé déborder. Il n'y a pas de gradation dans la réponse de la police. Ils ont tiré des balles de plomb, alors que les manifestants avaient seulement des pierres à la main." Les manifestations n'ont pas baissé en intensité dans les jours qui ont suivi. "Au contraire, les jeunes ont la culture du martyr et n'ont pas peur d'être blessés."

Situation explosive dans l'intérieur de la Tunisie

Ces manifestations de Siliana - qui ont amené le gouvernement à faire pression sur le gouverneur Ahmed Ezzine Mahjoubi pour qu'il démissionne - marquent un tournant dans l'histoire post-révolutionnaire en Tunisie, estime David Thomson. "Ce sont les émeutes les plus longues depuis les élections législatives il y a un an". Le journaliste rapporte que dans l'intérieur du pays, l'impatience est grande et explosive. Les députés d'Ennahda avouent en "off" avoir très peur de la déception des Tunisiens qui n'ont pas vu leur quotidien s'améliorer depuis un an. Les émeutes de Siliana ont d'ailleurs été précédées par d'autres à Sidi Bouzid et Gabès.

Le gouvernement tend pour l'instant à minimiser ce mécontentement et à nier la gravité des heurts entre police et manifestants. Les impacts de l'utilisation de la chevrotine ne sont pas dangereux, a affirmé Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme, sur une radio tunisienne ce lundi. David Thomson doit apprécier.