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La ligne TGV Lyon-Turin, le nouveau "Notre-Dame-des-Landes" ?

Depuis 20 ans, la création d’une ligne TGV Lyon-Turin nourrit une opposition farouche dans les Alpes. Jugé exorbitant, ce dossier pourrait toutefois être acté lors du sommet franco-italien qui a lieu ce lundi. Au grand dam de ses détracteurs.

C’est un projet vieux de 20 ans qui n’en finit plus d’exacerber les tensions dans les Alpes françaises et italiennes. La création d’une ligne à grande vitesse Lyon-Turin (LGV) qui devrait permettre de relier les deux grandes villes en 2 heures contre 4 aujourd’hui et d'améliorer le ferroutage entre les deux pays sera au cœur des discussions du 30e sommet franco-italien qui se tient lundi 3 décembre à Lyon. Seulement voilà, ce titanesque chantier transalpin que les gouvernements français et italien comptent - enfin - acter lundi fait face à une farouche opposition d'écologistes, d'élus locaux et de nombreuses associations de défense de l’environnement - surtout italiens - qui le perçoivent comme "inutile, ruineux et dangereux."

Et à l’approche du sommet Hollande-Monti, les tensions entre les deux camps semblent s’être cristallisées. Il faut dire que le 28 novembre, lors du Conseil des ministres, le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a rouvert les hostilités en annonçant un projet de loi "autorisant l'approbation de l'accord pour la réalisation et l'exploitation [de cette] nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin".

Les dates clés

1991 : création du Comité français pour la Transalpine et du "Comitato Transpadana" pour promouvoir la création de la ligne

2001 : accord franco-italien décidant la réalisation du Lyon-Turin

2011 : Le tracé définitif est fixé. La mise en service de la ligne ferroviaire est prévue pour 2023

Sans surprise, cette déclaration a provoqué l’ire des opposants au projet qui, dans la foulée, ont organisé un "contre-sommet" à Lyon, le 30 novembre et 1er décembre, pour faire entendre leurs voix. L’initiative n’a plu ni à Paris ni à Rome. Quinze sympathisants italiens ont été interpellés à Modane alors qu’ils tentaient de passer la frontière franco-italienne pour participer aux débats.

"Dommages gravissimes sur l’environnement"

Ce récent bras de fer, dont la médiatisation résonne péniblement pour le gouvernement français comme un possible "Notre-Dame-des-Landes bis", vient couronner vingt ans de lutte déjà bien ancrée dans les Alpes italiennes. Émaillé de sit-in, de rassemblements voire même de sabotages de voies ferrées – ce "combat" oppose notamment les "No-TAV" (opposants italiens au "Treno ad Alta Velocita Lyon-Turin" ou LGV) au gouvernement transalpin. Les écologistes estiment que la dangerosité environnementale de ce TGV - compte-tenu de la géologie et des reliefs des zones traversées par le rail - est avérée.

"Il y a de l’amiante et de l’uranium sous la montagne. Le percement des galeries va aussi polluer les réserves hydriques. Le tunnel va être comme le bouchon d’une baignoire que l’on retire", explique Claudio Giorno, un ancien géomètre interviewé par Libération, en mars dernier.

Les opposants rappellent également que le coût du projet est faramineux. La ligne ferroviaire, qui nécessite la percée d'un tunnel de 57 km, a en effet été réévaluée à 26 milliards d’euros en 2012 contre 12 milliards en 2002. "Les échanges commerciaux entre la France et l’Italie ne progressent pas assez pour justifier un tel investissement", se justifie Claudio Giorno. Même si une partie de cette somme devrait être absorbée par l’Union européenne, le budget reste pharaonique, surtout en période de crise, arguent les opposants. "Nous sommes dans une situation financière plus complexe et on peut réfléchir sur le meilleur usage de l'argent public", a estimé dimanche Cécile Duflot, la ministre de l'Écologie.

Un projet passéiste

Pour Luca Giunti, membre de la commission technique sur le LGV de la Vallée de Susa, interrogé par FRANCE 24, ce projet est surtout passéiste. "Il date de 1991, lorsqu’il n’y avait ni Internet, ni téléphones portables, ni avions low-cost. Or le monde depuis a changé", ajoute-t-il en classant le dossier Lyon-Turin et "Notre-Dame-des-Landes" dans la même catégorie des "grands projets inutiles".

Dans sa charge contre le LGV, l’expert ne manque pas non plus de souligner que ce dossier – dans lequel s'est succédé un grand nombre d’enquêtes, de contre-enquêtes et d’expertises en tout genre - manque cruellement de transparence. Les No-TAV évoquent à ce titre de nombreux "conflits d’intérêt". Rien d’étonnant selon l’expert : "N’oublions pas que l’Italie a une longue histoire d’infiltration de la criminalité dans les grands projets d’infrastructure"…

"Nous ne lâcherons rien"

Du côté des pro-Lyon-Turin, on estime au contraire que la mise en place de cette nouvelle ligne ferroviaire serait une bénédiction économique qui permettrait, sur le papier, de doubler le trafic du fret entre les deux pays et un avantage pour l’environnement. Cette nouvelle ligne pourrait, selon eux, réduire le trafic routier et ses nuisances. "Elle permettra de soulager la vallée d’un lourd transport sur route fort polluant", a déclaré Corrado Passera, le ministre italien des Infrastructures et des Transports.

Reste à savoir comment évolueront les événements à l’heure où aucun des deux camps ne compte revenir sur sa position. "L’engagement avait été pris sous le gouvernement précédent, il est aujourd’hui confirmé par l'actuel", a déclaré Jean-Jack Queyranne, président PS du Conseil régional Rhône-Alpes, en première ligne de la mobilisation des "pro-LGV". "Nous ne nous laisserons pas intimider, nous ne lâcherons rien", a prévenu de son côté Paolo Prieri, responsable des No-TAV italiens devant la presse lyonnaise.