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L’Égypte est en ébullition depuis la publication d'un décret élargissant les pouvoirs du président. Il s'agit de la plus grave crise à laquelle Morsi fait face depuis qu’il a marginalisé les militaires. Quelle est sa stratégie ? Décryptage.

La rue égyptienne n’a toujours pas retrouvé son calme. La contestation contre le président Morsi ne faiblit pas depuis son coup de force du 21 novembre. Raison de la colère : le décret passé jeudi par le chef de l’État, qui renforce ses pouvoirs déjà étendus. Plus il place de fait ses décisions au-dessus de tout recours en justice.

En annonçant ses mesures, Morsi était probablement loin de se douter qu’il déclencherait la crise politique la plus grave depuis son élection. Pour la gauche, les libéraux, les socialistes et tous ceux qui ont participé à la chute d’Hosni Moubarak, le décret révèle les tendances autocratiques du chef de l’État. Samedi, les magistrats qui ont pris la tête de la contestation appelaient à la grève générale. Plus tard dans la journée, les journalistes leur ont emboîté le pas.

Morsi maintient son décret élargissant ses pouvoirs

Le président islamiste égyptien Mohamed Morsi a maintenu lundi le décret élargissant ses pouvoirs après une rencontre avec la hiérarchie judiciaire destinée à tenter de sortir le pays de la plus grave crise depuis son élection.

Les partisans du chef de l'État islamiste, qui appelaient également à descendre dans la rue, ont annulé leur appel à manifester ce mardi, pour "éviter des affrontements" avec leurs opposants.

Vive contestation, l’opposition unie pour la première fois

Depuis la publication du décret, plusieurs manifestations ont déjà eu lieu pour dénoncer ces mesures, l’opposition accusant Morsi de s’être octroyé les pouvoirs d’un "pharaon" . Des tentes ont été dressées vendredi place Tahrir, emblème de la révolution de janvier 2011, où des opposants ont organisé un sit-in en signe de protestation. "Interdit aux Frères musulmans", la formation islamiste dont Morsi est issu, proclamait une banderole déployée près de la place.

De leur côté, les partisans de Morsi ne sont pas restés silencieux et sont également descendus dans les rues signifier leur soutien au chef de l’État, provoquant souvent des heurts. Une personne, un militant des Frères musulmans, est morte et environ 370 autres ont été blessées lors des manifestations pro ou anti-Morsi qui ont eu lieu depuis la publication du décret jeudi dernier. À travers le pays, de nombreux locaux des Frères musulmans ont également été attaqués. Des appels à de grandes manifestations concurrentes ont été lancés. L'opposition laïque et libérale doit notamment se rassembler sur la place Tahrir.

"Le mouvement de contestation prend de l’ampleur", observe Stéphane Lacroix, professeur de Sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Paris. "Pour la première fois, l’opposition est unie", relève-t-il. "Même le corps révolutionnaire qui avait appelé à voter Morsi pour éviter Chafik, issu de l’ancien régime, s’oppose maintenant pour la première fois au président", poursuit-il.

Dans une volonté d’apaisement, Mohamed Morsi a, de son côté, répété à plusieurs reprises que les mesures instaurées n’étaient que provisoires. Mais ses assurances n’ont pas suffit à convaincre ses détracteurs et adversaires politiques qui réclament le retrait du décret. "Il y a un vrai problème de confiance", remarque Stéphane Lacroix. "Morsi demande tout simplement qu’on le croit sur parole. Or, c’est impossible pour ses opposants."

"Dérive dictatoriale"

Pour le chercheur, plusieurs éléments peuvent expliquer le geste de Mohamed Morsi

vis-à-vis de l’instance judicaire. "Depuis longtemps, il y avait une demande de la rue d’épurer le pouvoir judiciaire, dont beaucoup de représentants sont des apparatchiks de l’ancien régime", explique-t-il. "C’est pour cela que l’un des articles du décret, qui en compte six en tout, prévoit le remplacement du procureur général par quelqu’un de plus acceptable par les révolutionnaires", poursuit-il.

Mais Mohamed Morsi ne s’est pas contenté d’amorcer une épuration au sein de la justice égyptienne. Le décret prévoit également de "mettre à l’abri pendant deux mois les travaux de l’Assemblée constituante de toutes critiques de la justice", selon les termes de Stéphane Lacroix. Le gouvernement a, en effet, essuyé plusieurs contestations judiciaires concernant la Constituante que la justice considère comme invalide car nommée par un Parlement qui a été ensuite dissous. Une situation de blocage à laquelle Morsi a voulu remédier en la plaçant au-dessus de la justice. Désormais, la Haute Cour constitutionnelle ne peut plus examiner les recours contre cette Constituante. De nombreux opposants la contestent car elle est dominée par les islamistes.

Mais si la stratégie de Morsi peut être décryptée pour certains articles du décret, d’autres, selon Stéphane Lacroix "posent problème". En particulier l’article 6, qu’il qualifie de "vague et inquiétant". Morsi s’y réserve le droit de prendre toute décision qui lui semble nécessaire pour protéger les acquis de la révolution de 2011. Pour ses opposants, c’est là le signe d’une "dérive dictatoriale". Stéphane Lacroix fait d’ailleurs remarquer que le général Nasser avait pris des mesures similaires pendant ses premières années au pouvoir.

Une rencontre était prévue lundi entre le Conseil suprême de la justice et le président pour tenter de trouver une issue à la situation. Mais selon M. Lacroix, la seule chose qui pourrait faire reculer Morsi est l’attitude internationale. "Si l’Occident hausse le ton, il se peut qu’il plie car il a besoin de l’argent du Fonds monétaire international (FMI) qui est conditionné à une bonne gouvernance. Il s’est jusqu’ici appliqué à garder les faveurs de la communauté internationale", analyse-t-il.