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Avec les militants anti-aéroport de Notre-Dame-des-Landes

Des milliers d'opposants à l'aéroport du Grand-Ouest affluent samedi à Notre-Dame des Landes, où des personnalités seront également présentes. FRANCE 24 est allé à la rencontre des militants qui font de cette lutte une question de principe.

Les rues de Notre-Dame-des-Landes sont quasiment désertes en ce froid vendredi 16 novembre. Cette petite bourgade de la région nantaise se prépare néanmoins activement à accueillir des milliers de manifestants contre la construction de l'aéroport du Grand-Ouest, projet cher à Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes et actuel Premier ministre. Une manifestation de "réoccupation" destinée à reprendre possession des habitations récemment évacuées par les forces de l'ordre. FRANCE 24 est allée à la rencontre de militants.

Une histoire de famille

Dominique Fresneau pousse la porte du café du coin, à deux pas de la place de l'église. "Tu as lu Le Point ? " lui lance instantanément le serveur. Cette semaine, la bataille des anti-aéroports de Notre-Dame-des-Landes fait la une de l'hebdomadaire. Ici, le sujet est sur toutes les lèvres. Pour le co-président de l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa), le bocage nantais est avant tout une histoire de famille qui remonte à cinq générations.

"Je suis né ici et mon père, agriculteur à la retraite, vit toujours dans la ZAD. La "zone à défendre", comme l'appellent les militants en détournant les termes "zone d'aménagement différé", est le périmètre directement touché par le projet de construction de l’aéroport du Grand-Ouest, à cheval sur trois villages. Selon les plans des pouvoirs publics, la maison du père de Dominique Fresneau devra bientôt laisser place à la piste nord de l'aéroport.

"Il existe plus de 100 aéroports en France, et il y en a déjà un à Nantes [le nouvel aéroport est sensé le remplacer, ndlr]. Nous n'avons pas besoin d'autres, que ce soit ici ou ailleurs", martèle cet ouvrier agricole de 51 ans, un badge "Non à l'aéroport" épinglé sur le chapeau. Dominique Fresneau se souvient des débuts de la contestation, dans les années 1970. "Dès qu'ils ont entendu parler de ce projet, mes parents ont commencé à militer. À l'époque, on surfait encore sur les restes de Mai-68, les gens avaient appris à faire des tracts, alors les étudiants et syndicats ont repris du service,” se souvient-il.

Mais ce projet, vieux de 40 ans, inquiète réellement Dominique depuis l'année 2000. Le socialiste Lionel Jospin, alors Premier ministre, se positionne en faveur de cet aménagement. C'est à ce moment-là que s'est créée l'Acipa. Depuis, des dizaines d'associations et de partis politiques se sont joints à la cause. Depuis le 16 octobre 2012, la situation ne cesse de dégénérer. Ce jour-là, les forces de l'ordre lancent l’opération "César". Mais rapidement, l’évacuation tourne à l’affrontement entre les 500 agents de police et de gendarmerie et les opposants présents sur la zone. À l'approche de la journée de mobilisation de samedi, Dominique a aménagé son emploi du temps : cette semaine, il n’a travaillé qu'à mi-temps.

"Vinci ne nous fait pas peur mais on ne veut pas se retrouver seuls”

Au milieu de son terrain boueux, Alain garde le sourire. Pourtant, la maison que lui et sa femme Marie louent depuis 20 ans se situe dans la ZAD, à la lisière de la forêt de Rohanne. "Quand on est arrivé, le projet était enterré, personne n'en parlait. " Désormais, le propriétaire d'Alain c'est la société Vinci, gestionnaire du projet de l’aéroport.

Ce technicien militant explique avoir reçu en octobre une lettre recommandée d'un cabinet d'avocat mandaté par Vinci. "Ils nous disaient qu'on avait un mois pour quitter les lieux. Mais on ne compte pas bouger. Tant que nous ne sommes pas passés devant un tribunal, ils ne peuvent pas nous virer. Et puis, on bénéficie aussi de la trêve hivernale qui vient de débuter [les expulsions sont suspendues du 1er novembre au 15 mars, ndlr].”

Pourtant, petit à petit, certains de ses voisins ont été expulsés. Une nuit, une maison a été démolie, à deux pas du lieu-dit "La Rolandière", chez lui. "On entendait les coups de pelleteuse", raconte-t-il.

"On va tenir bon, on a pas peur de Vinci. Mais ce que l'on redoute, c'est que tout le monde soit chassé et que la forêt de Rohanne soit rasée. Si on en arrive là, ça risque d'être très difficile moralement. Nous sommes particulièrement attachés à la vie en collectivité."

Tandis qu'il parle, un petit groupe de personnes s'affaire et installe en quelques minutes une buvette recouverte d'une bâche devant sa maison. "C'est pour les manifestants de demain."

"L'aéroport ne verra pas le jour"

Un peu plus loin, au bout de la route, se dresse le refuge la "Vache rit". Ici, on ne trouve pas d’opposants locaux mais des anticapitalistes convaincus. À l'intérieur de la bâtisse, la vie est gérée de manière “horizontale”, comme ils l'indiquent. Un sol recouvert de chaussures et une pile de vêtements accueillent les visiteurs. Ici, chacun se sert de ce dont il a besoin. Sur un étal, trois bassines d'eau fumante servent à laver les assiettes, tandis qu'au fond du terrain, un vieux bus fait office de bibliothèque. Un joyeux désordre dans lequel chaque chose a une place : matériel de construction, vaisselle, médicaments, nourriture.

Dans un espace à l'écart se trouve le dortoir ou "sleeping", comme ils l'appellent. Pénélope* trouve ça "crade", elle dormira sous une tente. Mais Julien, lui, s'en accommode. "La nuit, il fait froid, alors on s’enfouit sous quatre couvertures." Des chauffages ont également été fournis par des donateurs.

Âgé de 32 ans, Julien a rejoint le mouvement il y a un mois, à l'appel des militants déjà sur place. "J'étais là quand il y a eu les expulsions. On était une trentaine dans un corps de ferme, on a résisté mais on s'est quand même fait expulser."

Le jeune homme est un habitué des combats sociaux. À Marseille, Paris ou encore Toulouse, il a participé à des actions d'occupation de bâtiments administratifs avec le collectif Un toit pour tous. Originaire de Bretagne, il condamne fermement le système "dominant et impérialiste". "La ZAD est une expérimentation. On démontre que l'on peut s'organiser entre nous, on n’a pas besoin du système."

Alors que d'autres cultivent la terre, Julien aide à la (re)construction de cabanes. Un bac avec du matériel d'escalade est d'ailleurs prévu à cet effet. "Je ne savais pas le faire avant d'arriver ici, mais j'ai appris,” raconte le militant, entre deux bouffées de cigarette. Samedi, pendant la manifestation, c'est un chapiteau qu'il construira.

Revendiquant l'aspect pacifique du mouvement, il se veut confiant : "le projet de l'aéroport est stupide et n'est d'aucune utilité. Il ne verra pas le jour." Selon lui, la force du mouvement de contestation est sa popularité insoupçonnée. “Il n'y a qu'à voir le nombre de personnes qui sont arrivées ici ces derniers temps. Le mouvement anticapitaliste est généralement diffus et bien cadenassé. À Notre-Dame-des-Landes, il montre sa force. Les gens viennent de partout."

"C'est la même chose partout"

Camille* n'est pas française, mais ne préfère pas dire d'où elle vient. Elle ne souhaite même pas indiquer si elle est européenne. "Peu importe, nous sommes tous des êtres humains, explique-t-elle. Ce qui importe, ce n'est pas qui nous sommes, mais ce que nous faisons."

Quand elle a entendu ce qui se passait à Notre-Dame-des-Landes, elle était en Allemagne, ou en Belgique, elle ne sait plus. Elle y menait une action en faveur de l'écologie. Alors, il y a un an, elle est venue en France à vélo.

Occupée à construire un lit au milieu de bottes de foin avec quatre autres personnes venues de pays étrangers, Camille indique que le mouvement est loin de s'arrêter. "Nous avons d'autres actions prévues, mais nous ne dirons pas lesquelles."

*Les prénoms ont été modifiés