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En plein débat sur le "made in France", le savoir-faire hexagonal tient salon à Paris

Saluée par le ministre Arnaud Montebourg, la tenue à Paris du premier salon du "made in France" a piqué la curiosité de nombreux médias. Mais aussi de responsables politiques toujours prompts à exalter le patriotisme économique.

Le premier salon du "Made in France", porte de Champerret à Paris, a un petit air de marché de Noël, avec ses artisans-bijoutiers, ses pinces pour sortir les tartines du gril et ses jouets en bois. Le lieu n’a certes pas le charme du célèbre marché de fin d'année de Strasbourg, devant la grande cathédrale, joyaux de l’architecture gothique - le salon de la porte de Champerret est bas de plafond et éclairé au néon - mais cette première édition destiné à célébrer le savoir-faire français a suscité la curiosité des médias et attiré les politiques. C’est même devenu l’endroit où se montrer en ce week-end de la mi-novembre.

Après le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, vendredi à l’ouverture, une autre personnalité politique s’est invitée à l’événement samedi matin : la présidente du Front national, Marine Le Pen (photo ci-dessus).

"Je me suis caché à l’autre bout quand elle est arrivée, pour ne pas avoir à lui parler", confie un exposant, Hervé Gibet, dont le stand se trouve à l’entrée du salon. Cet ancien journaliste a créé lafabriquehexagonale.com, site qui référence les produits fabriqués en France avec un index par région. Les entreprises paient une cotisation pour y avoir une visibilité. Hervé Gibert se voit plutôt en écologiste qu’en nationaliste, mais a dû se rendre à l’évidence : la question du "Made in France" attire aussi les partisans de la droite dure. "J’ai reçu des lettres d’insultes quand j’ai pris position sur mon site contre le débat sur l’identité nationale, sous Sarkozy".

La récupération politique du salon ne semble pas inquiéter la commissaire de l’événement, Fabienne Delahaye, qui ne cache pas son admiration pour François Bayrou, le fondateur du Modem – premier à avoir investi la question durant la campagne présidentielle. "La gauche a fait l’erreur criminelle de laisser certains thèmes à ses adversaires... Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly sont les bienvenus !"

Dans les allées des stands, un fabricant de porte-clés de marque Boucleton côtoie des jus de fruits Borderline, des bonbons Anis de Flavigny et des caramels Bretagne Terroirs. Plus loin, on trouve des horlogers et des fabricants de miroirs et de jouets en bois venus de Franche-Comté… Un aperçu du vaste monde de l’artisanat et du sur-mesure, dont le renouveau a été salué, ces derniers jours, par plusieurs titres de la presse française, au premier rang desquelles Télérama.

Délais courts et sous-traitants à proximité

Aux côtés des quelques petites entreprises familiales qui résistent au temps, tel ce fabricant de chaussettes Labonal, implanté depuis 1924 en Alsace, et qui emploie une centaine de personnes, on trouve des jeunes qui tentent l’expérience de la production en France. Leur raison : ils débutent petit, n’ont pas encore de grandes quantités à vendre et privilégient une fabrication de qualité.

Tel Addmefor, qui vend  des bracelets gravés d'un QR Code  renvoyant vers une carte de visite virtuelle. Leur graveur est installé en Ile-de-France, leur façonnier dans le département de la Loire, leur imprimeur dans les Hauts-de-Seine. "On travaille sur des délais courts : 2 000 bracelets en deux semaines. Si on faisait produire en Chine, cela mettrait cinq semaines, il y aurait 20 % de rebut, de produits mal fabriqués… et il nous faudrait commander de grosses quantités", explique Arnaud Gautier, jeune entrepreneur pas encore sorti d’école de commerce.

En gardant leur production en France, lui et son acolyte informaticien, Erwin Lebrun, espèrent aussi éviter de se faire piquer l’idée par d’autres… même s’ils sont conscients que les innovations circulent très vite à l’heure du Web. Sur un site asiatique, ils ont retrouvé une photo d’un produit quasi-similaire avec une gravure, bien entendu, de "mauvaise qualité".

Autre expérience de production française : Kham Bounpraseuth, d’origine laotienne, a conceptualisé, il y a un an et demi, une antenne de télévision écologique qui lui a valu une médaille d’or au concours Lépine européen 2012. Cet objet fait de plastique, de copeaux de bois et d’acier, est essentiellement assemblé à Alençon, dans un centre d'insertion pour travailleurs handicapés. Kham Bounpraseuth est parvenu à faire distribuer son invention dans des grandes enseignes de bricolage et à fabriquer 16 000 antennes en un an. "Mes plus grosses difficultés ont été la distribution dans des points de vente et la quantité. Je produis à trop petite échelle."

"Économiquement, fabriquer en France est une hérésie"

Comme ces deux projets, plusieurs très petites entreprises naissantes se trouvent presque par hasard au salon du "made in France"… Et tentent de tirer profit d'une telle médiatisation.

Pour d’autres, le positionnement "fabriqué en France" est une stratégie marketing assumée. Sébastien Mounier s’est lancé dans une marque de polos et de cravates appelée Frog Save the Queen. Le tissu est teinté et tissé à Pau puis assemblé dans les Landes, les broderies sont faites à Bordeaux, les boutons en Franche-Comté… "Je suis une jeune entreprise et j’ai envie de maîtriser ma logistique", explique Sébastien Mounier.

Mais avec un polo vendu à plus de 100 euros, l’entrepreneur sait qu’il ne peut viser qu’un marché haut de gamme. "Économiquement, fabriquer en France est une hérésie. Ce n’est pas encore rentable. Alors, je finance mon caprice en faisant des interventions dans des écoles de commerce." La marque, lancée en juin, n’a pas les moyens de se payer une boutique avec pignon sur rue. Elle vend uniquement sur Internet et attire des clients venus plutôt de l’étranger, "attirés par la qualité française, par l’image de marque".

Frog Save the Queen espère se faire un nom, non seulement dans le petit salon de la porte de Champerret, mais aussi au milieu d’un marché international saturé par des grandes griffes.

Y aura-t-il un second "salon du 'made in France'" ? La commissaire de cette première édition, Fabienne Delahaye, mise, l’année prochaine, sur "près de 300 entreprises" supplémentaires, qui attendaient de voir passer le premier salon.