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Exclusif : les derniers jours d'un commandant de l’ASL

, envoyée spéciale en Syrie – Chef de l'Armée syrienne libre dans la ville de Harem, dans le nord-ouest de la Syrie, le commandant Bassil Isa a été tué le 5 novembre dans un bombardement. La veille, notre reporter l'avait accompagné en patrouille. Récit.

À Harem, le siège de l’Armée syrienne libre (ASL) se situe dans un ancien bâtiment administratif. Sur les marches se tient ce jour-là un homme en uniforme, de forte corpulence, s’entretenant du haut de ses 1,90 m avec quatre combattants. Il s’agit du général Bassil Isa, qui dirige la brigade Shuhada, les "Martyrs d’Idleb". Le regard concentré, il dégage charisme et autorité. "On l’aime tous. Il nous donne toujours un moral d’acier. Avant de nous envoyer au front, il nous rassure. Il planifie les équipes chaque matin et envoie dans les combats les plus durs, ceux qui se sentent le plus prêt ce jour-là. C’est un homme qui prend en compte le moral de ses troupes pour en tirer le meilleur", affirme le colonel Mehmet, à qui le général vient de parler.

Les hommes de Bassil Isa coupables d’exactions

Selon Reuters, plusieurs rebelles rattachés à la brigade du commandant Bassil Isa ont exécuté un homme de sang froid, la semaine dernière, dans la ville de Harem. Ce dernier, présenté comme un fidèle du régime par les rebelles, n’était pas armé et ne portait pas l’uniforme. Il a reçu trois rafales de mitraillettes avant de s’effondrer.

Cette exécution sommaire résonne comme un sombre rappel de la réalité de la guerre : les exactions ne sont pas l’apanage d’un seul clan. "J’essaie de raisonner mes hommes, s’est justifié Bassil Isa. Je leur dis que stratégiquement, c’est une mauvaise chose. Une mauvaise publicité pour nous. Nous recevons de l’aide et nous obtenons des informations quand nous épargnons ces hommes. Nous ne devons pas les juger. Seul Dieu le fera."

Bassil me donne une franche poignée de main et m’ouvre la porte de son 4x4. "Je vais vous faire visiter Harem libérée", déclare-t-il. Je suis assise devant, à ses côtés. Il a mis des chants traditionnels syriens, étonnant contraste avec ce paysage en ruine qui défile devant nous : décombres, murs écroulés, fils électriques flottant dans les airs. Sur la route, des douilles, des obus de mortier, des chaussures, du sang encore frais et des lambeaux de chair humaine sur lesquels s’agglutinent des mouches. "Vous voyez ce désastre ?", se désole le général, pointant du doigt la mosquée et les immeubles détruits encore fumants qui, hier, l’entouraient. La veille, une bombe larguée par le gouvernement qui visait la mosquée a fait 70 morts.

Ville fantôme

Ancien ingénieur en mécanique, le général Bassil Isa est considéré comme un héros dans les rangs des combattants. Dans la province d’Idleb, il a construit sa réputation avec une première victoire sur la capitale provinciale en mars, suivie d’une autre sur la ville d’Armanaz, en juin, où ses troupes ont vaincu 400 soldats du régime. En juillet, il a pris la ville de Salqin puis, le mois suivant, a lancé l’assaut sur Harem que son bataillon a "libéré" il y a dix jours. "Il y a encore des combats dans la citadelle mais le centre de la ville est sécurisé. Nos soldats contrôlent 6 routes d’accès sur 7", m’avait expliqué plus tôt le colonel Shihab, responsable de la logistique pour la brigade.

Dans cette ville fantôme (90 % de la population ayant fuit dans des villages voisins ou en Turquie, à 18 km), seuls les rebelles sont visibles, kalachnikov en bandoulière, en civil pour la plupart. Certains jouent aux cartes, décontractés. D’autres dévalent les ruelles à trois sur un scooter, donnant l’impression de s’amuser. D’autres s’assurent par téléphone que les combattants dans la citadelle ont des munitions. Le général, qui raccroche son talkie walkie, ordonne à une dizaine d’hommes de se poster sur leur base arrière. Depuis le toit des maisons, munis de Doushka et de Katioucha, ils répliquent à des tirs de mortiers de l’armée d’Assad. "Partons d’ici !", me lance-t-il avec fermeté. "Dans la ville, il y a quelques civils pro-Assad armés qui peuvent nous viser à tout moment. Regardez ce mur !, indique-t-il. Il ya deux jours, ça n’y était pas." On peut y lire : "Bachar, ne t’inquiète pas. On boira le sang des rebelles jusqu’à la dernière goutte".

Alors que les combats dans la citadelle couvrent notre conversation, le général redémarre nerveusement son 4x4. Pour s’arrêter quelques instants plus tard devant une maison, intacte. Un repaire où il s’entretient avec son cercle proche. "Au sol, nous sommes plus forts. Le problème, ce sont les frappes aériennes. On doit changer de tactique. Dans trois jours maximum, la citadelle sera entre nos mains." C’est tout ce qu’il dira. Dans le ciel, un hélicoptère des forces gouvernementales survole la ville et s’en va. Bassil est tendu. Le lendemain, il sera pris pour cible alors qu’il se trouve dans ce même repaire et mourra dans un bombardement aérien avec 20 de ses hommes.