Pour analyser la défaite de Mitt Romney à la présidentielle, FRANCE 24 a demandé l’avis de Karlyn Bowman, chercheur au think tank conservateur American Enterprise Institute : quelles leçons tirent les républicains du scrutin du 6 novembre ?
Dès les premiers résultats annonçant la défaite des Républicains à la course à la Maison Blanche et leur mauvaise posture dans le scrutin sénatorial, les critiques ont commencé à pleuvoir dans les rangs du Grand Old Party : Mitt Romney était-il le bon candidat ? Les partisans du Tea Party ont-ils tendu vers des discours trop conservateurs, ou au contraire, les Républicains ont-ils fait campagne trop au centre ? "Les conservateurs sont déjà en train de dire qu'il n'y avait pas assez de conservatisme" chez Romney, explique le correspondant de Fox News Carl Cameron. D’autres pensent l’inverse.
Toujours sur la chaîne pro-républicaine, Bill O'Reilly, son commentateur-vedette, lance durant la soirée électorale : " Ce n'est plus l'Amérique habituelle qui a voté." Le facteur démographique a joué, rapporte le quotidien "Le Monde" : "Il y a vingt ans, M. Obama n'aurait eu aucune chance. Mais l'establishment blanc ne dirige plus ce pays. Voilà pourquoi la philosophie d'Obama convainc l'opinion. "
Les Républicains ont-ils commencé leur aggiornamento intellectuel ? FRANCE 24 a posé la question à Karlyn Bowman, du think tank conservateur American Enterprise Institute.
FRANCE 24 : Quelle est la plus grande leçon à tirer de la défaite des Républicains ? Doivent-ils mieux appréhender les changements démographiques de l’électorat américain ?
Karlyn Bowman : Oui, c’est le facteur le plus important de cette élection. Il faut que les Républicains se réveillent à ce sujet. Notre électorat est en train de changer en profondeur. En 1972, l'électorait était blanc à 90%. Au scrutin présidentiel, ce mardi, seuls 72% des électeurs étaient blancs. L’électorat hispanique est en pleine croissance, la communauté asiatique connaît également un essor très important. Ces deux groupes ethniques votent majoritairement pour les Démocrates. Les Républicains doivent prendre conscience de cela.
Est-ce que le vote gay a pesé dans cette élection ?
Le vote gay, lesbiens et transgenre ne représente qu’une petite partie de l’électorat américain. Et il est très largement acquis aux Démocrates. Ce ne sont pas eux qui vont peser sur une élection. Pour autant, c’est un groupe auquel nous prêtons attention.
Qu’en est-il du vote des femmes ? Pourquoi les Républicains ont-ils tant de mal à conquérir leur voix ? La question de l’avortement est-elle centrale ?
Non, cela n’a rien à voir avec l’avortement. Il faut comprendre que les femmes souhaitent que le gouvernement ait un rôle important, et cela les attire vers le programme démocrate. Elle ne veulent pas d'un système économique basé sur la prise de risques ("risk-averse") et sont peu interventionnistes sur le plan des affaires étrangères.
Nous avons toujours observé un "gender gap", un électorat qui se partage entre les femmes, qui sont plutôt attirées par le parti démocrate, et les hommes, plus enclins à voter républicain. Il y a également un "mariage gap", qui clive davantage encore le corps électoral : les couples mariés votent républicain, tandis que les personnes célibataires, divorcées ou veuves se tournent majoritairement vers les Démocrates.
Que peuvent faire les Républicains, sinon changer fondamentalement leur programme ?
C’est un processus évolutif à long terme. Les Républicains tiennent pour acquis le vote masculin, ils doivent mettre en avant les femmes du Grand Old Party (GOP). Au Sénat, des femmes charismatiques ont été élues, il faut que le parti les pousse à s’exposer médiatiquement. Les Républicains ont non-seulement besoin de porte-parole féminins, mais ils doivent aussi répondre aux questions que se posent les femmes, qui sont vulnérables sur le plan économique.
Mitt Romney était-il le bon candidat ?
Oui, je crois qu’un candidat comme Mitt Romney était le bon choix. Jusqu’au premier débat télévisé, où sa performance a été extraordinaire, il s’est certes montré un peu rigide.
Je pense surtout que le système des primaires a montré ses limites : tout comme les primaires démocrates poussent le parti à choisir un candidat marqué à gauche, les primaires républicaines poussent vers la droite. Cela tend à devenir un problème. La prochaine fois, pour 2016, les primaires du GOP devront être recentrées. Mais je pense toujours que Mitt Romney était le type de candidat qu’il fallait.
Est-ce que le principal problème provient du Tea Party, qui tire les Républicains vers la droite ?
C’est vrai qu’ils ont proposé des candidats dans un certain nombre de courses aux sénatoriales, dont le positionnement politique n’a pas plu à une grande majorité de l’électorat. Le Tea Party n’a pas été aussi présent dans ces élections qu’il ne l'a été par le passé. Mais ce courant jouera toujours un rôle important à la Chambre des représentants [où les Républicains sont majoritaires, contrairement au Sénat, nldr].
Comment le Parti républicain peut-il rassembler ses deux grandes tendances, le Tea party et l’aile modérée ?
Après une défaite électorale, il y a toujours un temps de récrimination, où les uns blâment les autres de ne pas avoir agi comme il fallait. Les Républicains doivent surmonter très vite cette étape pour monter un front uni.
Lorsque vous regardez les candidats potentiels pour 2016, il y a un groupe de personnes très dynamiques et très compétitives. Pas seulement Paul Ryan [le colistier de Mitt Romney], mais aussi Marco Rubio [sénateur de Floride], Susana Martinez [gouverneur du Nouveau-Mexique], Jeb Bush [ancien gouverneur de Floride]… La "B Team" est très impressionnante.
Marco Rubio, qui est d’origine cubaine, s’est adressé mercredi matin aux minorités : cela signifie que les Républicains sont en train de comprendre qu’ils avaient un problème dans leur façon de s’adresser aux minorités ethniques. La jeune génération du parti saisit cela très bien.
Cela signifie-t-il que les Républicains doivent changer leur discours sur l’immigration ?
Oui, je le crois. Et je crois que la nouvelle génération du Parti est prête à cela.