Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne, la militante basque a été interpellée et remise aux autorités espagnoles par la France. Un acte symbolique inédit qui intervient un an après l'annonce par ETA de l'arrêt des violences.
Elle risque jusqu’à 12 ans de prison. La Française Aurore Martin a été arrêtée et remise aux autorités espagnoles, jeudi 1er novembre, à Mauléon, près de Pau dans les Pyrénées-Atlantiques, fruit du hasard d’un contrôle de police inopiné alors qu’elle se trouvait à bord de son véhicule. La jeune femme de 33 ans fait l’objet, depuis le 13 octobre 2010, d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne pour "faits de participation à une organisation terroriste et terrorisme". Madrid lui reproche, principalement, son appartenance au parti radical Batasuna avec lequel elle aurait participé activement à des réunions publiques. Alors qu’en France le mouvement Batasuna est légal, en Espagne, en revanche, il est considéré comme une organisation terroriste depuis 2003 et interdit pour ses liens présumés avec le groupe séparatiste basque ETA.
Le 29 octobre, quelques jours, à peine, avant l’interpellation d’Aurore Martin, Manuel Valls assurait, dans une interview accordée au quotidien espagnol El Pais, que Paris continuerait "avec fermeté" le combat contre l’ETA, tant que l’organisation séparatiste n’aurait pas définitivement déposé les armes. "L'ETA ne peut espérer aucun changement, nous resterons engagés dans la lutte contre le terrorisme", a affirmé le ministre de l’Intérieur, qui demande à l’unisson, avec Madrid, la dissolution pure et simple du groupe séparatiste. Des propos qui interviennent moins de 24 heures après l’arrestation à Mâcon, dans la nuit du 27 au 28 octobre dernier, d’Izaskun Lesaka, l’une des figures les plus importantes du groupe, ainsi que d’un autre membre présumé, par les policiers français du RAID. Au total, depuis le début de l’année, 24 membres de l’ETA ont été interpellés en France et en Espagne.
Mais le cas d’Aurore Martin, soutenue par plusieurs élus locaux français, est hautement symbolique. Il s’agirait, selon une source policière, de la première ressortissante française à être extradée vers l’Espagne pour des faits liés au séparatisme basque. Pourquoi son arrestation intervient-elle maintenant ? Quelles conséquences peut-elle avoir sur le processus de paix avec ETA ? L’affaire soulève de nombreuses questions.
Une procédure classique, selon le parquet
Il y a un peu plus d’un an, le 20 octobre 2011, l'ETA annonce qu'elle renonce définitivement à la violence. Paris et Madrid demandent aux responsables de l’organisation séparatiste de déposer les armes et de se dissoudre, ce que les intéressés ont refusé jusqu’à présent.
Tandis que les ministères de l’Intérieur et de la Justice, joints par FRANCE 24, se refusent à tout commentaire, à la Cour d’appel de Pau, on assure qu’il n’y a "rien d’extraordinaire" dans cette affaire. "Nous n’avons fait que suivre le principe du mandat d’arrêt européen. Nous en recevons plusieurs chaque année et la procédure s’applique, à chaque fois, de la même façon", affirme à FRANCE 24 un représentant du parquet de Pau. "Ici, la chambre d’instruction ne rejette que très peu de mandats d’arrêt européens. En revanche, quelques-uns l’ont été pour cause de prescription ou d’antériorité de la loi", ajoute-t-il, précisant que les contrôles judiciaires requis étaient sommaires.
Si l’interpellation d’Aurore Martin survient aujourd’hui, c’est simplement, selon le parquet général, parce que la jeune femme avait rompu sa mise sous contrôle judiciaire et demeurait jusqu’à présent introuvable. "D’après l’évolution du dossier, son interpellation ne pouvait être que fortuite. Sauf si, ne supportant plus d’être en fuite, elle avait fini par se rendre d’elle même", explique le parquet.
Hasard du calendrier ou décision politique ?
Toutefois, pour Barbara Loyer, professeur à Paris-VIII et spécialiste de la géopolitique espagnole, "le fait que cette arrestation intervienne après la victoire électorale des nationalistes basques n'est peut être pas un hasard". À l’heure où les partis indépendantistes basques font un retour remarqué sur la scène politique espagnole, l’arrestation et l'extradition d’une indépendantiste accusée de terrorisme est de bonne augure pour Madrid. Le 21 octobre dernier, la coalition indépendantiste de gauche, Bildu, longtemps interdite pour son affiliation présumée à l’ETA, arrivait en deuxième position des élections régionales au Pays basque. "On aurait pu penser que la fin de la menace de l’ETA libérerait un vote non nationaliste basque, mais c’est l’inverse qui a lieu, produisant douleur et incompréhension chez les familles des 829 personnes assassinées par l’ETA et les centaines de Basques ayant vécu pendant des années dans la crainte d’être le prochain mort", explique Barbara Loyer.
En somme, Bildu a tout intérêt à se montrer discret quant à l’affaire Aurore Martin. Malgré sa proximité supposée avec l’ETA, "ils ne sont pas censés protester puisqu'ils disent qu'ils ne veulent plus de terrorisme… S'ils réagissent, cela dévoile donc leurs contradictions", estime Barbara Loyer.
Bien que la coalition Bildu devrait donc se tenir à carreau, pour certains Espagnols, en revanche, la crainte est d’assister à un retour aux violences et aux attentats meurtriers perpétrés, jusqu’en 2009, par l’organisation séparatiste. Mais Barbara Loyer n’y croit pas, "même s’il n’est jamais exclu que des individus isolés veuillent continuer à tuer avec un simple pistolet et sans structure coûteuse". Selon elle, l'ETA, déjà très affaiblie par les coups de filet franco-hispaniques, subit, en quelque sorte, "un coup de grâce" donné par un Manuel Valls qui concrétise, une nouvelle fois, par le biais de cette arrestation, la solidarité sans faille promise à Madrid.