Feuilleton américain multi-primé, "Homeland" s'est attiré les foudres des autorités libanaises en dépeignant Beyrouth comme un nid de miliciens islamistes semant la terreur dans la ville. Le ministère du Tourisme menace d'une action en justice.
On peut être encensé dans son pays et s’attirer les foudres de toute une nation. Succès tant public que critique, la série d'espionnage "Homeland", diffusée sur la chaîne américaine Showtime, ne collectionne pas uniquement les récompenses aux Emmy Awards, elle essuie, depuis quelques jours, une salve de critiques lancée depuis le Liban.
Motif du courroux levantin : "Beirut is back", le deuxième épisode de la saison 2 de la série dans lequel la capitale libanaise semble être passée à travers le prisme déformant des préjugés occidentaux. Tourné en Israël, l’épisode de la discorde montre une ville coupe-gorge peuplée de "barbus" armés et de femmes en hijab. Aussi, l’héroïne de la série, la très blonde Carrie Mathison, agent de la CIA obsessionnelle interprétée par Claire Danes, juge bon de devoir se noircir cheveux et yeux afin de passer incognito dans ce qui est présenté comme Hamra, l’un des quartiers, dans la vraie vie, les plus ouverts et branchés de la capitale.
Subconscient
Le décalage entre la réalité et le portrait que le feuilleton américain brosse de la ville est tel que le ministre libanais du Tourisme, Fadi Abboud, s’est publiquement offusqué du mauvais traitement infligé à son pays. "Je dépense des millions pour des campagnes dans les médias occidentaux destinées à effacer l'association subconsciente entre l'évocation de Beyrouth et celle de la kalachnikov et de la guerre, s’indigne-t-il dans Le Figaro. Un épisode comme celui-ci, regardé par des millions de téléspectateurs, anéantit tous ces efforts alors qu'il ne repose que sur des mensonges." Les autorités de Beyrouth exigent des excuses et menacent d’intenter une action en justice contre les créateurs de "Homeland".
Depuis, l’attentat de Beyrouth qui a coûté la vie au chef des renseigements intérieurs libanais, le 19 octobre, n’a rien fait pour arranger les choses. Mais comme l’explique à l’hebdomadaire français Télérama, Joe Prince, professeur de cinéma à l’Académie libanaise des beaux-arts : "Le quotidien de la capitale n’est pas fait de miliciens et des femmes toutes voilées. Nous ne sommes ni en Afghanistan ni en Arabie saoudite".
Pays de cocagne
Étonnante distorsion de la réalité de la part d’une série saluée dans de nombreux endroits du monde pour la précision de son écriture. De fait, "les inexactitudes de la série correspondent davantage à la perception que beaucoup d’Américains ont du pays", analyse Joe Prince.
Outre-Atlantique, tous les citoyens n’ont bien évidemment pas cette vision biaisée de la région. En 2009, le très respectable New York Times n’avait-il pas hissé Beyrouth en tête des 44 sites à visiter d’urgence. Présenté comme "le Paris du Moyen-Orient", la capitale libanaise y était alors décrite comme un pays de cocagne où il fait bon vivre de jour comme de nuit. Le journal y conseillait alors sa gastronomie, ses restaurants "cosy", ses hôtels de luxe, ses plages ensoleillées, ses clubs animés... Bien loin du repaire de terroristes fantasmé par "Homeland".