En dépit d'une volonté de neutralité affichée au début du conflit, les réfugiés palestiniens en Syrie sont entraînés dans la spirale de la violence. Des affrontements opposent depuis lundi des rebelles à des Palestiniens alliés au régime de Damas.
Depuis lundi, de violents affrontements opposent rebelles et des militants palestiniens alliés du régime de Bachar al-Assad, dans le camp de Yarmouk, au sud de Damas, où vivent quelque 148 500 Palestiniens. En Syrie, la position de neutralité des organisations palestiniennes, acquises au régime, vole en éclats.
Ces combattant palestiniens sont membres du Front Populaire pour la libération de la Palestine - Commandement général (FPLP-CG) d'Ahmad Jibril, un allié indéfectible et de longue date du régime syrien. Selon l'Observatoire syrien des droits de l’homme, le camp est divisé entre partisans et détracteurs du FPLP-CG, basé à Damas. Des militants ont également rapporté que l'armée régulière est venue prêter main forte au FPLP-CG, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis.
Mercredi, des rebelles syriens ont même annoncé la formation d'une brigade de Palestiniens dans le camp de réfugiés de Yarmouk dont l'objectif est de lutter contre ceux qui combattent aux côtés du président syrien Bachar al-Assad.
"Nous armons les Palestiniens désireux de combattre (...). Nous avons créé Lioua al-Assifah (Brigade Tempête), constituée uniquement de combattants palestiniens", a ainsi déclaré à Reuters un commandant rebelle de la brigade Soukour al-Golan (Les Faucons du Golan).
Les rebelles expliquent, qu'avec la nouvelle brigade, ils attaqueront ceux de Yarmouk, fidèles à Ahmed Djibril. Selon eux, les hommes du FPLP-CG harcèlent les habitants de Yarmouk et s'en prennent aussi aux combattants de l'Armée syrienne libre (ASL).
"Une stratégie de contre insurrection"
Communément appelé le camp de Yarmouk, le quartier n’a plus, depuis longtemps, l'allure d’un campement. Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), évoque "un faubourg tout à fait normal de Damas, qui s’est embourgeoisé car il se trouve intra muros". Il précise que la population de Yarmouk n’est pas à 100 % palestinienne, " il y a également des Syriens, à parts égales".
Il explique que les hommes de Jibril tiennent le quartier, malgré le fait qu’ils ne bénéficient que de très peu de soutien au sein de la communauté palestinienne. "Mais ils ont pignon sur rue à Yarmouk parce qu’ils sont protégés et financés depuis toujours par le régime", explique-t-il. Entouré de quartiers tenus par la rébellion, comme Tadamoun ou Hajar al-Aswad, le FPLP-CG est de plus en plus ouvertement contesté par les opposants au régime syrien depuis le début du soulèvement. "Les rebelles, soutenus par des habitants du quartier acquis à leur cause s’infiltrent à Yarmouk et se heurtent aux hommes de Jibril", raconte Fabrice Balanche.
"Concrètement, le régime sous-traite à Jibril et à ses hommes la sécurité du quartier", analyse-t-il. Et de conclure : "c’est une stratégie de contre insurrection". Une situation similaire a déjà été observée à Alep, où certains quartiers, comme celui de Achrafieh, majoritairement peuplé par des Kurdes, sont tenus par les hommes armés du PKK, qui à l'instar du FPLP-CG, se dit l’allié du régime. "C’est tout à fait comparable, à cela près que le PKK est beaucoup plus représentatif des Kurdes que ne peut l’être Jibril des Palestiniens", précise toutefois le chercheur.
Car en interne aussi, Jibril est contesté. Un épisode notamment est assez révélateur des dissensions entre Palestiniens. En juin 2011, une dizaine de manifestants palestiniens avaient été tués par Israël dans le Golan alors qu’ils tentaient de franchir la ligne de frontière. Des affrontements avaient éclaté peu après leurs funérailles à Yarmouk, les familles des victimes reprochant alors à Jibril d’avoir sacrifié la vie de leurs enfants en les appelant à manifester.
Pris dans l’engrenage
L’épisode de juin 2011 témoigne également de la position délicate dans laquelle se trouvent les Palestiniens en Syrie depuis le début du conflit. Selon l'UNRWA (Office des Nations unies chargé des réfugiés palestiniens), plus de 500 000 Palestiniens vivent en Syrie, pour la plupart descendants de ceux qui s'y sont réfugiés après la création de l'État d'Israël en 1948. Ils sont répartis dans neuf camps qui étaient totalement contrôlés par des organisations palestiniennes acquises au régime. "Au début du conflit, ils avaient déclaré qu’ils resteraient neutres", se souvient Fabrice Balanche.
Mais la neutralité a rapidement été écartée. "Beaucoup de jeunes palestiniens n’ont pas suivi la consigne : ils soutiennent la révolte, et ont rejoint les rangs des rebelles", explique le chercheur. Et sur le front politique, le Hamas a pris parti pour la rébellion, fermant son bureau à Damas.
Ces Palestiniens acquis à la rébellion se heurtent à des factions qui soutiennent Bachar al-Assad, dont le père Hafez avait érigé la Syrie en championne de la cause palestinienne. Le 2 août dernier, 21 civils, dont au moins deux enfants, avaient déjà été tués dans le camp de Yarmouk par des tirs de mortier, dont l'origine est restée inconnue.