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Sous tension, le Liban tente d’éviter l’embrasement

Au lendemain des obsèques du chef de la sécurité libanaise (photo), la tension reste vive au Liban tandis que la menace d’une déstabilisation du pays sur fond de crise syrienne semble se préciser. Analyse.

Le président syrien Bachar al-Assad cherche-t-il à déstabiliser le Liban ? À Beyrouth, l’opposition libanaise hostile au régime syrien en est persuadée. Elle accuse sans ambages le régime syrien d’avoir assassiné, le 19 octobre, le plus haut responsable de la sécurité du pays, le général sunnite Wissam al-Hassan, notoirement connu pour son hostilité à l'égard de Damas. Et ce afin de semer le chaos dans le pays.

Ainsi, depuis l’attentat du 19 octobre dans lequel le haut officier a perdu la vie avec deux autres personnes, la rue sunnite ne décolère pas. Pis, elle est en ébullition. Dimanche, l'armée a mené plusieurs opérations pour rétablir l’ordre dans des quartiers majoritairement sunnites où des dizaines d’hommes en armes s’étaient déployés, que ce soit dans la capitale, ou dans le Nord, à Tripoli. Ce lundi, malgré un calme précaire enregistré dans l’ensemble du pays, des échanges de tirs ont opposé des militaires et des hommes armés à Beyrouth, dans un bastion des partisans de l'ancien Premier ministre sunnite Saad Hariri.
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Les précisions de notre envoyé spécial Matthieu Mabin
Une crise sécuritaire doublée d’une crise politique
Ces évènements interviennent dans un climat de tensions confessionnelles extrêmes entre la communauté sunnite, coreligionnaire de la majorité des rebelles syriens, et la communauté chiite, dominée par le Hezbollah allié du régime de Damas. Jusqu’ici, le Liban était resté relativement à l’abri des soubresauts de la crise syrienne, évitant de rebasculer dans la guerre, qu’il a déjà connue entre 1975 et 1990. Et ce, notamment parce que le gouvernement du Premier ministre Najib Mikati, composé, paradoxalement, en grande partie, de forces politiques prosyriennes, dont le Hezbollah de Hassan Nasrallah, a opté pour une "politique de distanciation". En clair : privilégier la neutralité par rapport à la crise qui fait vaciller son puissant voisin.
Or, l’attentat qui a coûté la vie à Wissam al-Hassan a provoqué des répercussions politiques internes de très grande ampleur et a remis en question "la politique de distanciation". Ces derniers jours, l’opposition a multiplié les appels à la démission du gouvernement. "L’équipe ministérielle doit être tenue responsable de cette situation qui laisse le Liban ouvert à toutes sortes de problèmes sécuritaires", déclarait peu après l’attentat du 19 octobre le député Samy Gemayel (opposition) sur l’antenne de FRANCE 24.
Dimanche, les attaques contre le gouvernement du sunnite Najib Mikati ont atteint leur paroxysme : "Ce gouvernement est responsable de l’assassinat du général Hassan et des autres martyrs. Nous appelons à sa chute, a déclaré l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. Va-t-en donc Najib Mikati ! Si tu ne démissionnes pas, tu seras accusé de conspirer contre le peuple libanais. Va-t-en, tu es responsable !". Une partie des manifestants réunis pour assister aux funérailles du chef des renseignements de la gendarmerie, chauffés à blanc par ce type de discours, ont ainsi tenté de prendre d’assaut le siège du gouvernement, le Grand Sérail, situé dans le cœur de la capitale.
Le dilemme du Premier ministre Mikati
Le Premier ministre Najib Mikati se retrouve, par conséquent, dans une position intenable de bouc émissaire. Ce notable sunnite, réputé proche de Bachar al-Assad, est en train de se mettre à dos sa communauté, malgré le soutien des capitales occidentales. "Le Premier ministre est dans une très mauvaise posture et il ne cache plus son embarras d’être à la tête d’un gouvernement accusé par la rue sunnite d’être, d’une part, à la solde du Hezbollah chiite, décrit comme le complice du clan Assad et, d’autre part, de couvrir les crimes du régime de Damas", explique à FRANCE 24 Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du monde arabe et professeur à l'université Paris-XI. Et de poursuivre : "C’est pour cela qu’il a tenté de démissionner samedi, afin de ne pas être en rupture avec sa communauté".
Au lendemain de l’attentat de Beyrouth, Najib Mikati a, en effet, fait part de sa volonté de quitter son poste. "J'ai assuré au président [Michel Sleimane, NDLR] que je n'étais pas attaché au poste de chef de gouvernement. [Il] m'a demandé de rester car il ne s'agit pas d'une question personnelle mais de l'intérêt national", a-t-il déclaré au cours d’une conférence de presse.
De son côté, la majorité accuse l’opposition de récupération politique. "Certains cadres politiques de l’opposition ont essayé de récupérer le crime abject qui a emporté le général Wissam al-Hassan", précise à FRANCE 24 le député Simon Abi Ramia, membre du Courant patriotique libre du général Michel Aoun. Le Hezbollah, lui, fait profil bas. "Le parti chiite ne veut pas jeter de l’huile sur le feu, il n’a aucun intérêt à voir le Liban, dont il contrôle le gouvernement, sombrer dans une guerre confessionnelle, explique un observateur avisé du parti de Hassan Nasrallah, qui requiert l’anonymat. Il ne veut pas détourner son attention de la frontière sud derrière laquelle se trouve son ennemi de toujours : l’État hébreu."
Situation critique
Ainsi, si les experts reconnaissent que le Liban se trouve dans une situation critique, ils écartent à l’unisson tout risque immédiat de guerre. "Le Liban est, certes, dans l’œil du cyclone, mais il est rassurant de constater que les responsables politiques de tous bords agissent de sorte que l’incendie ne prenne pas dans le pays", analyse encore Khattar Abou Diab.
Un avis que partage Ziad Majed, professeur des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris. "Ce n’est pas la première fois que des répercussions de la crise syrienne se font sentir au Liban mais, cette fois-ci, la situation s’est sérieusement envenimée, notamment en raison de l’exacerbation des tensions communautaires, ravivées par l’assassinat de Wissam al-Hassan", juge-t-il sur l’antenne de FRANCE 24. "Nous sommes toutefois encore loin d’une situation qui risque de déboucher sur une guerre fratricide, malgré tout l’intérêt de Bachar al-Assad de déstabiliser le Liban."