
Touchée par le dysfonctionnement du logiciel gérant le versement de la solde des soldats de l’armée de Terre, Angélique, femme d’un militaire en opérations extérieures, se trouve, depuis un an, dans une situation financière dramatique. Témoignage.
Elle n’a pas la langue dans sa poche, Angélique. Ironie lexicale, elle détonne même avec la "Grande Muette" qui, depuis neuf ans, a happé son mari dans ses rangs. Elle sait bien que son époux, militaire en opérations extérieures (Opex), ne peut faillir à son devoir de réserve en épanchant ses doléances sur la place publique. En octobre et novembre 2011, lorsqu'il ne reçoit pas son salaire, il ne peut ni crier au scandale, ni convoquer les médias. C'est elle qui parlera pour lui. "Je ne veux pas me taire. Il aurait dû toucher 4 400 euros net pour ces deux mois. Il ne recevra pas un centime."
Ce n’est qu’au cours du mois de novembre 2011 qu’Angélique apprendra que le responsable de ce dysfonctionnement se nomme Louvois, du nom de ce logiciel défectueux chargé de centraliser le système des paies interarmées. Un simple bug informatique, en somme, responsable d’avoir plongé sa famille aux portes de la précarité. Car le mari d’Angélique est la seule source de revenus du couple. Mère au foyer, elle s’occupe de leurs deux enfants en bas âge. "J’ai vite compris que les choses allaient empirer. Beaucoup de femmes qui, comme moi, ne travaillaient pas n’ont pas reçu le salaire de leurs compagnons militaires. Ça ne s’annonçait pas bien", confie-t-elle.
Prédiction juste. Si le mois de décembre 2011 est vécu comme un mois de répit - "un fonds de régiment mis en place a réglé nos arriérés juste avant Noël", précise-t-elle -, la nouvelle année est un enfer. "On a commencé à recevoir des soldes aux montants complètement aléatoires, des trop-perçus, des sommes dérisoires. C’est complètement dingue ! Depuis, entre le 25 et le 27 de chaque mois, j’ai une boule au ventre, je ne sais pas si l’argent va arriver."
"Certaines familles sont menacées d’expulsion"
Son mari, en opération quelque part en Afrique, ne peut pas faire grand-chose. "C’est à moi de gérer les problèmes du quotidien. Lui, il a la tête dans sa mission", ajoute Angélique. Au début, son compagnon essaye de la rassurer. Il lui répète de ne pas s’affoler, que "les virements ne devraient plus tarder". Mais c'est le début d'une spirale infernale : les appels de la banque, les découverts, les agios. "Vous savez, j’ai frôlé l’interdit bancaire, mais j’ai eu en face de moi un conseiller compréhensif. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Certaines familles sont menacées d’expulsion. Il y a pire que moi", précise-t-elle. Il y a surtout bien mieux. Car une fois les économies épuisées, Angélique a dû surmonter la gêne de devoir emprunter de l’argent pour faire face aux 800 euros de loyer mensuel, aux factures, aux faux frais. "Mes parents m’ont aidée. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur eux." Mais à quel prix... "Ils ont ponctionné presque l’intégralité de leurs économies pour nous aider."
Outre l’aspect pécuniaire, Louvois a eu un impact sur sa vie de couple. S'il la soutient aujourd'hui, son mari n'a pas toujours vu d'un bon œil le combat médiatique d’une épouse qui milite au sein de l'association Militaires et citoyens, qui interpelle les hautes autorités, et qui a même dernièrement demandé à rencontrer en personne le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. "Mon mari n’était pas rassuré de me voir remuer ciel et terre pour dénoncer cette situation. Il avait peur que ça lui porte préjudice. Il est vrai que l’armée n’aime pas laver son linge sale en public." Elle aime encore moins les femmes qui "l’ouvrent un peu trop", assène-t-elle, consciente qu’être une "grande gueule" n’est pas franchement bien vu. "C’est un milieu particulier où l’on sent bien que les épouses doivent rester à leur place", lâche-t-elle.
Aujourd’hui, "rien n’a changé". Angélique se réjouit certes du branle-bas de combat mis en place par le ministre de la Défense pour régler le problème d'ici au début de 2013, mais doute qu'il parviendra à tenir les délais. "Il fait son possible, je le sais bien. Mais si vous saviez les problèmes engendrés par Louvois, c’est fou ! Le dysfonctionnement touche 1 500 personnes rien que dans mon groupe Facebook !" Déterminée et rebelle, elle fait savoir haut et fort qu’elle ne compte pas baisser les bras. "Je fais peut-être 1,60 m pour 40 kilos, mais croyez-moi, je continuerai à dire ce que j’ai à dire", lâche-t-elle dans un grand éclat de rire.