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Le pianiste turc Fazil Say, athée militant, comparaît pour blasphème

Le pianiste classique turc Fazil Say comparaît ce jeudi devant un tribunal d’Istanbul pour avoir publié des propos "insultant les valeurs religieuses" sur Twitter. Connu pour son athéisme militant, le musicien envisage de quitter la Turquie.

Le pianiste turc Fazil Say pourra mesurer, à l’issue de son procès qui a débuté ce jeudi matin 18 octobre devant un tribunal d’Istanbul, si la justice de la Turquie reste attachée au principe de laïcité, inscrit dans les gènes du pays depuis Atatürk, ou si elle entérine l’islamisation du pouvoir aux mains du parti AKP depuis dix ans. L’artiste tombe sous le coup de l’article 216 du nouveau code pénal turc - adopté en 2004 - qui punit de prison toute "offense propageant la haine et l'hostilité" contre une institution, mais aussi "le dénigrement des croyances religieuses d'un groupe". Selon son avocat, il encourt 18 mois de prison. La prochaine audience est fixée au 18 février.

"Je suis peut-être la seule personne au monde à faire l'objet d'une enquête pour avoir déclaré mon athéisme", s’est indigné l’artiste au printemps dans le quotidien Hurriyet, au moment où les poursuites judiciaires contre lui se confirmaient. Le délit de ce pianiste et compositeur, invité régulièrement dans les plus grandes salles de concert du monde, est d’avoir ouvertement raillé sur Twitter les musulmans pieux. En avril, il avait ainsi moqué un appel à la prière. "Le muezzin a terminé son appel en 22 secondes. Prestissimo con fuoco !!! Quelle est l'urgence ? Un rendez-vous amoureux ? Un repas au raki ? ", écrit-il sur Twitter, d'après la traduction de Guillaume Perrier, correspondant du Monde à Istanbul. Il avait également eu l'audace de retweeter des vers du poète persan Omar Khayyam, philosophe et épicurien : "Vous dites que des rivières de vin coulent au paradis. Le paradis est-il une taverne pour vous ? Vous dites que deux vierges y attendent chaque croyant. Le paradis est-il un bordel pour vous ?", rapporte encore le quotidien.

Le drame de Sivas

L'athéisme assumé du pianiste et compositeur âgé de 42 ans, fils d’un intellectuel engagé, n’a pas l’heur de plaire aux islamistes modérés du parti AKP (Parti de la justice et du développement). En 2007, l’oratorio "Requiem pour Metin Altiok", qu’il a créé à la mémoire du poète turc mort avec 36 autres intellectuels laïcs à Sivas en 1993 dans l'incendie de leur hôtel par des musulmans intégristes, avait été en partie censuré par le ministère turc de la Culture. Les images du drame n’avaient alors pas pu être projetées en fond de scène.

Fazil Say, qui a affirmé à plusieurs reprises vouloir s’installer au Japon, réitère sa position, au risque de se fâcher définitivement avec les autorités turques. En 2011, il crée un concerto pour clarinette intitulé "Khayyam" (voir vidéo), en référence au poète persan. Et, pour 2014, il prépare un opéra intitulé "Sivas", pour commémorer une nouvelle fois le drame de 1993.

La jurisprudence Gürsel

Pour cette affaire de tweets, ce sont des particuliers qui ont saisi la justice. À l’ouverture du procès, ce jeudi, une centaine de militants des droits de l'Homme, dont des artistes et des journalistes, ont manifesté dans le calme devant le palais de justice. "Fazil Say n'est pas seul", pouvait-on lire sur l'une des pancartes brandies par les manifestants.

Il n’est pas non plus le seul à être tracassé par la justice pour des affaires religieuses. Avant lui, le romancier franco-turc Nedim Gürsel avait dû se justifier pour son livre "Les Filles d'Allah". Publié au Seuil, l’ouvrage fait raconter l’avènement de l’islam par trois déesses du panthéon arabe. L’auteur a finalement été acquitté en 2009.