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La première clinique abortive de Belfast provoque une levée de boucliers

Dans une région du Royaume-Uni où l’opposition à l’avortement fait consensus dans la classe politique, une ONG britannique s’apprête à ouvrir une clinique abortive. Au risque de s’exposer à des difficultés sécuritaires et légales.

Le débat sur l’avortement en Irlande du Nord est toujours aussi vivace. Pour preuve, les manifestations quasi-quotidiennes de "pro-life" devant l’Association de planning familial (FPA) à Belfast, sur la place Shaftesbury Square. Les femmes – mais également les hommes – qui tentent de franchir les portes de l’association sont d’abord accueillies par un groupe de militants anti-avortement qui tendent à bout de bras des photos de fœtus.

Dans ce contexte, l’initative de Marie Stopes International, une ONG basée à Londres, d’ouvrir la première clinique dédiée à l’avortement à Belfast, le 18 octobre prochain, a provoqué immédiatement une levée de bouclier. Les ondes, les quotidiens et le web relaient ce débat qui secoue une société nord-irlandaise forte de 1,8 million d’habitants.

Sur Internet, pro et anti-avortements s’affrontent à coup de slogans, de sondages et de pétitions. Des groupes tels que "Catholics for Choice" (pro-avortement) et "Ireland Pro Life" (anti) publient des liens vers le sondage de Belfast Telegraph Poll, qui donne 53 % de voix contre l’ouverture de la clinique, et 47% pour. Sur Facebook, les administrateurs de la page intitulée "Nous sommes fermement opposés à l’ouverture de la clinique Marie Stopes à Belfast", avouait dimanche sa difficulté à faire respecter un minimum de politesse dans les échanges.

Craintes pour la sécurité

À quelques jours de l’ouverture de la clinique - qui sera dédiée aux questions sexuelles, pas seulement à l’avortement -, les responsables de Marie Stopes International avouent qu’ils rencontrent des problèmes pour assurer la sécurité des lieux.

"Bien sûr que nous sommes préoccupés", explique Tracey McNeill, vice-présidente de Marie Stopes en Grande-Bretagne et en Europe, dans une interview accordée à FRANCE 24. “La sécurité des hommes et des femmes qui viendront en consultation chez nous, tout comme celle de notre équipe, est une priorité absolue. Il y a quelques jours, j’ai même pensé appeler la police, mais celle-ci a pris les devants, est venue nous rassurer sur notre sécurité."

Au départ du projet, Marie Stopes International avait gardé secret le lieu où devait se construire la nouvelle clinique. Mais dans une ville de 200.000 habitants, les informations circulent vite et depuis quelques jours, les médias stationnent dans la rue Victoria Street.

"Honnêtement, je ne m’arrête pas à toute la couverture médiatique ni aux réactions violentes", ajoute Tracey McNeill. "Ma préoccupation est de m’assurer que nous allons proposer des services de première qualité. Je ne suis pas une politique, je suis une professionnelle médicale."

"Faire le voyage"

Mais en Irlande du Nord, il est difficile d’occulter le débat politique sur cette question, alors que le pays connaît une des législations les plus restrictives au monde.

Belfast a beau se situer en territoire britannique, la loi de 1967 sur l’avortement en Grande-Bretagne ne s’applique pas à l’Irlande du Nord. Cette région est toujours soumise à la loi de 1861 sur l’atteinte aux personnes, et la loi de 1945 du Code pénal. L’avortement n’est légal que dans des situations extrêmes, où la survie de la femme enceinte est en jeu. Il est illégal en cas de viol, d’inceste ou de développement anormal du fœtus. Selon la législation en vigueur, les femmes qui se font avorter encourent une peine de prison.

Depuis des décennies, des dizaines de milliers de femmes se rendent en Angleterre pour avoir accès à des cliniques abortives. Elles « font le voyage », comme on dit, et doivent dépenser pour cela environ 2.000 livres (environ 2.500 euros).

"Notre combat est une question d’égalité pour les femmes d’Irlande du Nord", explique Audrey Simpson, directrice du planning familial à Belfast, qui soutient la clinique Marie Stopes.

Trouver un terrain légal

Selon les militants anti-avortements, tels que Bernadette Smyth, fondatrice et directrice de l’association "Precious Life" (vie précieuse), basée à Belfast, "il n’existe aucune volonté de modifier la loi en Irlande du Nord. Tout le monde sait que c’est très différent ici. Bien sûr, nous faisons partie du Royaume-Uni, mais nous avons notre propre politique médicale."

Des militants pro-avortement font valoir un sondage, effectué durant l’année 2012, qui révèle que 59 % des personnes interrogées se disent favorables à une interruption de grossesse en cas de viol.

Mais dans une région qui se déchire entre protestants et catholiques, l’avortement est une des rares questions sur lesquelles les responsables politiques des deux camps tombent d’accord.

Dans une interview au "Belfast Telegraph", le ministre de la santé en Irlande du Nord, Edwin Poots, a appelé Marie Stopes International à "respecter la loi". "C’est une question de droit, pas une question de santé", insiste Edwin Poots. "Le sujet sera soumis au procureur général, c’est à lui de trancher. S'ils (l’équipe de Marie Stopes) enfreignent la loi, ils seront poursuivis en justice."

Selon les responsables de l’ONG britannique, la clinique respectera les lois nord-irlandaises. "Cela fait près d’un an que nous travaillons sur les questions légales, pour être certains de comprendre l’environnement législatif", se défend Tracey McNeill.

Mais Bernadette Smyth, directrice du groupe de pression anti-avortement Precious Life, reste sur ses gardes. "Notre équipe juridique travaille sur la question. Nous travaillons également auprès de nos élus locaux et nous croyons fermement qu’ils feront le nécessaire."

Quelle que soit l’issue de la bataille juridique, cette nouvelle clinique sera très certainement au centre de toutes les attentions. Il n’est pas sûr que les femmes nord-irlandaises qui souhaitent s’y rendre pourront le faire avec toute la discrétion voulue…