Adem Uzun, membre du Congrès national du Kurdistan, a été arrêté en France le 6 octobre et accusé d’être l’un des cadres de l’organisation séparatiste kurde PKK en Europe. L’affaire provoque l’indignation des associations kurdes.
En plein tumulte provoqué par le coup de filet de la police française dans les milieux islamistes radicaux, une seconde opération antiterroriste est passée inaperçue samedi 6 octobre. Ce jour-là, la police, sous les ordres des juges antiterroristes Thierry Fragnoli et David Benichou, a arrêté plusieurs membres de la communauté kurde en Mayenne, à Paris et en région parisienne. Tous sont soupçonnés de trafic d’armes – d’un montant de 1,2 million d’euros selon des informations du quotidien "20 Minutes" – destiné à alimenter la branche armée du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en Irak. Ils étaient surveillés depuis le mois d’avril par la Sous-direction antiterroriste (Sdat).
Le Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK, fondé en 1978 par Abdullah Ocalan, a déclenché en 1984 une rébellion sécessionniste avec la Turquie. Il vise à obtenir l’indépendance des territoires à population majoritairement kurde qui constituent une région montagneuse à cheval sur la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak. Le PKK a été inscrit en 1993 sur la liste des organisations terroristes dans plusieurs pays européens, notamment en France et en Allemagne.
Depuis 1984, plus de 45 000 personnes sont mortes dans le conflit entre le PKK et l’armée turque.
Parmi les personnes appréhendées, se trouve Adem Uzun, l’un des membres du comité exécutif du Congrès national du Kurdistan (KNK), regroupant des organisations politiques, sociales et culturelles du Kurdistan, basé à Bruxelles. Présenté par les autorités françaises comme étant un "important dirigeant du PKK en Europe", l’homme a été arrêté dans un café à Montparnasse, à Paris, puis écroué le 9 octobre. "Adem Uzun était à Paris [...] pour des activités diplomatiques", s’insurge le KNK dans un communiqué. Il devait participer à un colloque consacré à la situation des Kurdes en Syrie, prévu le 13 octobre à l’Assemblée nationale.
Quelque 200 Kurdes arrêtés en France depuis 2007
"La détention d’Adem Uzun n’a rien, strictement rien à voir avec les accusations sans fondement qui lui sont reprochées", poursuit le KNK, accusant la Turquie de vouloir "empêcher toute activité politique kurde". "Par cette arrestation, la France a répondu aux attentes d'Erdogan [le Premier ministre turc] en portant atteinte aux fondements du système démocratique français", assure le Congrès national du Kurdistan, qui égratigne au passage le juge Fragnoli, "particulièrement connu pour ses arrestations d’hommes politiques kurdes". Ce magistrat du pôle antiterroriste du parquet de Paris s’illustre en effet régulièrement dans des affaires liées au PKK.
En 2007, notamment, une quinzaine de ressortissants turcs d’origine kurde avaient été arrêtés en région parisienne et inculpés pour "association de malfaiteurs, financement et blanchiment d’argent en relation avec une entreprise terroriste". Parmi les suspects se trouvait Riza Altun, présenté comme le représentant du PKK en Europe. Une opération similaire avait été menée à Marseille en janvier 2009, puis en février et décembre 2010. Ces derniers mois, les opérations de police semblent s’être intensifiées. En mars 2012, sept Kurdes sont arrêtés à Reims. En juillet, 26 jeunes manifestants kurdes sont placés en garde à vue à Strasbourg. En août, cinq autres sont arrêtés à Marseille... Selon le Réseau d’informations libres de la Mésopotamie (ActuKurde), plus de 200 Kurdes ont été arrêtés depuis 2007. La plupart, dont Riza Altun, ont été libérés faute de preuves de leur appartenance au PKK.
Ankara fait pression
Les dernières opérations en date interviennent moins de deux semaines après une nouvelle salve de critiques de Recep Tayyip Erdogan contre Paris et Berlin, les accusant de ne pas aider la Turquie à lutter contre les séparatistes kurdes du PKK. "Les Occidentaux ne veulent pas que nous réglions ce problème, je le dis clairement, l’Allemagne ne le veut pas, la France ne le veut pas et elles ne nous aident pas sur cette question", a déclaré le chef du gouvernement turc, le 27 septembre dernier au cours d’un entretien accordé à la télévision NTV. "D’un côté, [ces pays] s’expriment devant l’Union européennne et classent le PKK dans leur liste des organisations terroristes et de l’autre, ils autorisent leurs représentants à circuler librement dans leurs pays", a-t-il également lancé, avant d’invectiver les autorités allemandes et françaises : "Ils [les chefs du PKK] sont sous votre protection et vous tolerez leurs activités".
Ces dernières années pourtant, la France a fait de larges concessions à la Turquie en matière de lutte antiterroriste. Le 7 octobre 2011, le ministre de l’Intérieur d’alors, Claude Guéant, s’est notamment rendu à Ankara pour signer un accord de " coopération contre le terrorisme" , facilitant les extraditions. Lors d’une conférence de presse, il a assuré au chef du gouvernement turc " la détermination totale, indéfectible de la France, à lutter [contre le terrorisme] aux côtés de la Turquie".
"Soutenir la cause du peuple kurde"
En inscrivant le PKK sur la liste des organisations terroristes en 1993, Paris et Berlin ont interdit toutes les organisations qui se réclamaient du Parti des travailleurs du Kurdistan. Mais elles ont toutes refait surface peu de temps après sous d’autres noms. "Il existe en Europe tout un réseau d’associations pro-PKK mais qui n’appartiennent pas au PKK et dont les membres ne sont pas membres du PKK, explique Olivier Grojean, maître de conférence en sciences politiques à l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste des mouvements kurdes. Cependant, ces associations sont parfois managées – mais pas dirigées – par des militants clandestins du PKK". Les liens entre ces associations et le mouvement indépendantiste sont donc difficiles à démontrer.
Ces organisations préparent régulièrement des manifestations culturelles ou politiques pour sensibliser l’opinion publique sur la question kurde, dans le but de faire pression sur les gouvernements européens. L’autre volet de leur activité consiste à récolter des fonds pour "soutenir la cause du peuple kurde". La police soupçonne parfois le recours au racket et au trafic de drogue pour financer la lutte armée – fin août, cinq personnes soupçonnées de vouloir assassiner un chef d’entreprise refusant de payer l'"impôt révolutionnaire" ont été arrêtées près de Marseille. "En Europe, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’activités de type mafieux pour financer la branche armée du PKK. Ici, les associations font plutôt des 'visites aux familles' : elles se déplacent dans les foyers, échangent des nouvelles du pays... Dans la plupart des cas, les personnes donnent un certain pourcentage de leurs revenus, mais de façon volontaire", assure Olivier Grojean. ”La transmission, au PKK, des fonds récoltés par des associations est clandestine mais est avérée, poursuit le politologue. En revanche, elle est extrêmement difficile à prouver devant la justice."
"Un amalgame ethnique"
D’ailleurs dans les faits, très peu de Kurdes arrêtés dans le cadre d’opérations antiterroristes sont condamnés, faute de preuves. Dans le cas d’Adem Uzun, arrêté à Paris le 6 octobre, la police française croit avoir trouvé assez d’éléments permettant de démontrer des liens entre les branches politiques et logistiques du PKK. "Les autorités voudraient prouver que la branche politique du PKK a des activités liées à la guerre, comme des achats ou des livraisons d’armes, et donc assimilables à du terrorisme ou du financement du terrorisme", poursuit Olivier Grojean. "Le problème, c’est qu’a priori, Adem Uzun n’est pas membre du PKK, même si le KNK est ouvertement pro-PKK sans en être une branche, et a évidemment des contacts avec les membres du parti."
Les autorités européennes feraient-elles l’amalgame entre le PKK et les associations luttant pour la reconnaissance du peuple kurde ? C'est notamment le cas en Allemagne, assure Olivier Grojean. "Dans leurs rapports, les services secrets allemands affirment qu’il existe 11 000 membres du PKK en Allemagne, alors que ce chiffre correspond en fait à l’ensemble des adhérents aux associations kurdes, et à leurs sympathisants. En réalité, il n’y aurait qu’environ 150 membres clandestins du PKK en Allemagne, et une vingtaine en France". Pour Selma Ben Khelifa, avocate d’Adem Uzun basée en Belgique, la confusion des autorités françaises sur la question ne fait aucun doute. "Mon client est accusé d’être membre du PKK, ce qui est faux. Il existe un amalgame complet entre le KNK, la branche politique du mouvement kurde dont il fait partie, et la branche de la lutte armée, dont il conteste faire partie. Cela finit par devenir un amalgame ethnique : vous êtes kurde donc vous êtes forcément soupçonné de faire partie du PKK".