logo

La chute "inéluctable" des Shebab somaliens

L'abandon du port de Kismayo s'ajoute à une série de déconvenues militaires accumulées, depuis un an en Somalie, par le mouvement islamiste des Shebab. Marc Lavergne, spécialiste de la Corne de l'Afrique, répond à FRANCE 24.

Aux mains des shebab somaliens – des milices islamistes affiliées à Al-Qaïda – depuis août 2008, le grand port du sud de la Somalie, Kismayo, est tombé. Les forces gouvernementales (photo) et ceux de la Force de l'Union africaine en Somalie (Amisom) sont en effet entrés, ce lundi, dans le dernier bastion des islamistes, situé à environ 200 km de la frontière somalo-kenyane. Et ce, au surlendemain de l’annonce du retrait des Shebab provoqué par une offensive maritime, aérienne et terrestre du contingent kényan de l'Amisom contre la ville portuaire.

La perte de Kismayo, dont les milices avaient fait leur principale source de revenus et un centre opérationnel, est un nouveau coup dur pour les Shebab qui, depuis la perte de Mogadiscio à l’été 2011, multiplient les revers. Ils ont notamment perdu le contrôle de nombreux postes-frontières fort lucratifs pour leur mouvement. En 2008, les Shebab contrôlaient pratiquement tout le territoire somalien. Ils sont désormais contraints de trouver refuge dans la campagne du sud du pays.

Pour comprendre les raisons de cette série de déconvenues et ses enjeux, FRANCE 24 a interrogé Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la Corne de l'Afrique.
FRANCE 24 : Êtes-vous surpris par la perte du port de Kismayo par les Shebab? Comment expliquez-vous cette série de revers militaires accumulés depuis un an par la milice islamiste ?
Marc Lavergne : L’annonce brutale de la chute de Kismayo est en effet surprenante, du fait que les Shebab, une force réputée bien armée et motivée, tenaient beaucoup à garder le contrôle de cette ville stratégique. Par conséquent, l’explication de cet évènement n’est pas uniquement liée à la supériorité militaire de l’Amisom sur le terrain. En réalité, les déconvenues successives des Shebab, qui ont rendu celle de Kismayo inéluctable, s’explique par la perte de leurs soutiens étrangers, notamment du Soudan et de l’Érythrée, deux puissances qui cherchent à déstabiliser la Corne de l’Afrique. Sans ces soutiens, les Shebab ne font pas le poids face à des armées conventionnelles dont les moyens ont été sensiblement renforcés ces derniers temps. Il faut cependant se demander pourquoi ont-ils perdu ces soutiens, est-ce les Américains qui ont convaincu ces derniers d’abandonner les Shebab, et en échange de quoi ? L’avenir nous le dira, mais il est clair qu’un consensus international et régional est intervenu dans cette affaire. Celui de sécuriser l’océan Indien en proie aux trafics et à la piraterie.
Les shebab ont promis de contre-attaquer et de mener une campagne de représailles suite à la perte de Kismayo. Ont-ils encore, malgré leurs échecs successifs, les moyens de tenir leurs promesses, en s’appuyant sur les réseaux d’Al-Qaïda par exemple ?
M.L : S’ils ont subit un coup quasi-fatal, ils gardent néanmoins un pouvoir de nuisance certain qui pourrait entraîner des actions terroristes. Ce scenario pourrait rebrouiller les cartes en Somalie et perturber la vie quotidienne des zones urbaines somaliennes, notamment la capitale Mogadiscio. Il reste que les Shebab semblent dépourvus de toute perspective de reconquête pendant un bon moment. Quant à leur allégeance à la nébuleuse Al-Qaïda, elle n’est qu’un épouvantail qu’ils ont agité aux yeux de l’Occident. Au final, on ne peut que constater qu’elle ne leur a pas franchement été d’un grand secours puisque les Shebab n’ont reçu aucun renfort significatif en combattants, ni des fonds pour préparer leur défense.
Comment ces milices sont-elles parvenues à maintenir leur pouvoir sur la quasi-totalité du territoire somalien aussi longtemps ? Sur quoi reposait-il ?
M.L : Ce mouvement ne s’est imposé que par la force des armes et l’appui de puissances étrangères au milieu d’une situation chaotique. Il n’a suscité aucune adhésion au sein de la population dans les zones placées sous son contrôle. Ils n’ont été capables que d’occuper ces territoires, sans savoir comment les administrer. Les Shebab sont des jeunes, comme leur nom en arabe l’indique, sans aucune éducation et qui n’ont pour chefs que des gens plus âgés qu’eux. Ils ne sont qu’une force de circonstance sans ossature et sans idéologie, dénuée d’un agenda politique et sans aucune compétence en matière religieuse ou de gestion d’un État. Les seules ambitions de ces petits prédateurs étaient de porter des armes et de gagner de l’argent pour nourrir les leurs.