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Chine - Japon : les prémices d'une guerre économique à hauts risques

Le conflit territorial entre la Chine et le Japon à propos de l’archipel Senkaku-Diaoyu peut à tout moment dégénérer en guerre économique ouverte. Chacun des deux belligérants dispose d'armes qui pourraient se révéler redoutables.

Après le tonnerre diplomatique, l’orage économique menace d’assombrir un peu plus l’horizon des relations sino-japonaises. Toyota et Nissan, les deux principaux constructeurs automobiles japonais, ont confirmé, mercredi, qu’ils allaient stopper jusqu’à la semaine prochaine une partie de leurs chaînes d’assemblage sur leurs sites de production en Chine. Des décisions qui sont liées “à la situation actuelle entre la Chine et le Japon”, ont confirmé les deux marques.

Pékin et Tokyo s’affrontent, en effet, depuis le 5 septembre autour de l’archipel Senkaku-Diaoyu sur lequel les deux pays revendiquent la souveraineté. Un conflit territorial qui a encore donné lieu, mercredi, à une réunion bipartite en marge de l’Assemblée générale de l’ONU jugée “tendue” par un diplomate japonais .

La fermeture partielle des usines de Toyota et Nissan s’ajoute aux appels au boycott des produits japonais durant les virulentes manifestations anti-japonaises du week-end du 15 septembre. Il y aurait, en outre, une multiplication “de témoignages faisant état de contrôles douaniers de plus en plus tatillons sur les importations japonaises”, rapporte à FRANCE 24 Mary-Françoise Renard, directrice de l’Institut français de recherche sur l’économie de la Chine (IDREC).

Des épisodes qui sont, pour cette spécialiste, davantage des “signaux d’avertissement” que des exemples d’une véritable guerre commerciale. La menace d'un conflit économique ouvert flotte néanmoins “comme une épée de Damoclès au-dessus du conflit territoriale entre le Japon et la Chine”, reconnaît Mary-Françoise Renard.

Grosse Bertha chinoise

Les deux principales puissances asiatiques disposent de tout un éventail d’armes économiques qu’elles pourraient dégainer si besoin. Dans cette hypothèse, “la Chine a un ascendant certain sur son rival nippon”, affirme à FRANCE 24 Janet Hunter, historienne de l’économie à la London School of Economy et qui a travaillé sur la Chine. Un boycott généralisé ayant reçu l'aval officiel de Pékin représente un premier levier que le régime peut actionner en “surfant sur l’exacerbation du nationalisme chinois”, remarque Mary-Françoise Renard.

Pour l’heure, il reste localisé à une dizaine de villes, mais s’il venait à se généraliser le quotidien australien The Australian estime qu’il pourrait mettre en péril “près de 50% de la production japonaise”. Le régime n’a, cependant, pas intérêt à pousser à ce boycott car “la plupart des produits japonais sont d’une manière ou d’une autre fabriqués en Chine”, rappelle Mary-Françoise Renard.

La principale menace réside, en fait, dans “une limitation chinoise des exportations de terres rares”, affirme Janet Hunter. Ces matières premières, essentielles à la fabrication de toute une série de produits électroniques comme les téléphones portables, sont en effet la sève de l’industrie japonaise.

Tokyo achète plus de 60% des terres rares exportées par la Chine qui détient un monopole mondiale quasi indiscuté dans ce secteur (90% de la production mondiale). En 2010, Pékin avait destabilisé toute l’économie nippone en refusant d’en vendre pendant plusieurs semaines à l’archipel. Reste que les autres pays occidentaux, gros consommateurs d’électroniques made in Japan, risquent de fort peu apprécier si la Chine décide de sortir cette grosse Bertha commerciale.

Le Japon, de son côté, n’est pas dénué de munitions, même s’il ne dispose pas d’une arme du calibre des terres rares. “S’il réduit ses investissements en Chine, cela peut avoir un effet non négligeable sur l’emploi avec la fermeture annoncée d’une série d’usines”, note Janet Hunter. Le Japon a investi 12 milliards de dollars chez son voisin en 2011 d’après Tokyo (Pekin assure, de son côté, qu’il ne s’agit que de 6,5 milliards de dollars).

Mais “si le Japon ferme des usines en Chine, cela affectera également sa propre production, du moins le temps pour le Japon de trouver d’autres points de chute pour relocaliser ses activités”, ajoute cette économiste britannique.

Tokyo peut également jouer sur ses exportations. “La Chine a besoin, pour ses usines d’assemblages, des composants électroniques et des pièces détachées qui viennent du Japon”, remarque Mary-Françoise Renard. L’économie chinoise dépend encore à plus de 50% de cette activité d’assemblage, rappelle-t-elle.

Tsunami mondial

Rien ne dit cependant que ces deux frères ennemis vont effectivement sortir ces atouts de leur manche. En fait, “aucun des deux pays n’a intérêt à une guerre commerciale”, assure Mary-Françoise Renard. “On oublie parfois à quel point ces deux économies sont interdépendantes”, renchérit Janet Hunter. En 2011, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont élevés à 345 milliards de dollars.

Pire encore, si le différend territorial dégénérait réellement en conflit commercial, c’est l’économie mondiale toute entière qui en pâtirait. “La croissance mondiale est pour l’instant largement tirée par l’Asie. La Chine et le Japon sont tout de même la deuxième et la troisième puissance économique au monde”, rappelle Janet Hunter.

Le ralentissement de l’activité dans ces deux pays mettrait en péril la fragile reprise dans la plupart des pays occidentaux. L’Asie demeure le principal marché où il fait encore bon faire des affaires. “Un nombre grandissant d’entreprises américaines, sud-coréennes ou encore allemandes sont soit installées en Chine ou au Japon soit ont besoin des matériaux fabriqués dans ces pays”, souligne le Wall Street Journal. Un coup d’arrêt du commerce sino-japonais pourrait également priver les consommateurs occidentaux de produits dont ils raffolent tels que les iPhone, iPad et autres gadgets électroniques.

Les marchés financiers risquent, eux aussi, de très mal réagir à une guerre commerciale. “Ce dont ils ont besoin, c’est d’une certaine stabilité pour avoir de la visibilité dans leurs investissements. Un conflit commercial entre la Chine et le Japon instaurerait un climat d’incertitude très nuisible pour les affaires”, confirme Janet Hunter.

Autant de raisons qui devraient pousser ces deux géants à ne pas jouer au cow-boys économiques. Ce qui ne les empêche pas de jouer les gros bras comme l’a fait, le 18 septembre, le “China Daily” - principale organe de presse chinois - en appelant à “sanctionner le Japon”. Car, comme l’avait dit, au début du 20e siècle, le père de la théorie moderne aux échecs, Aaron Nimzowitsch “la menace est toujours plus forte que l’exécution”.