Le principal parti d'opposition indien a organisé, avec succès, une journée de grève générale des petits commerçants pour protester contre les réformes gouvernementales qui prévoient d'ouvrir le marché à la grande distribution occidentale.
L’Inde a tourné au ralenti ce jeudi 20 septembre. À l’appel du principal parti de l’opposition, le Bharatiya Janata Party (BJP), 50 millions de petits commerçants ont fait grève dans plusieurs grandes villes du pays dont New Delhi, la capitale. Motif de la grogne : les réformes économiques proposées à la mi-septembre par le gouvernement qui prévoient une augmentation du prix du diesel et l'ouverture du commerce de détail aux grands distributeurs étrangers, tels que l’américain Walmart, le britannique Tesco ou le français Carrefour, qui pourront acquérir jusqu’à 51 % du capital des détaillants multimarques indiens.
Si le pays n’a pas été complètement paralysé, plusieurs incidents ont été signalés au cours de cette journée d'action, qui a mobilisé 50 millions de personnes, selon les estimations de l'intersyndicale Confederation of All India Traders. Des manifestants ont arrêté plusieurs trains dans le nord de l'Inde, caillassé des bus à Bangalore (Sud), bloqué certaines autoroutes au Bengale-Occidental (Est) ou saccagé certains kiosques dans tous le pays. Les chauffeurs de bus et de poids-lourds ont aussi participé à cette grève, soutenue par syndicats et partis d'opposition, pour protester contre une hausse de 12 % du prix subventionné du gazole.
Crainte du chômage
Guruprasad n’a pas levé le rideau de sa petite boutique de Bangalore, ce jeudi. Pour lui, l’ouverture du marché aux grosses enseignes internationales ne représente rien d’autre qu’une concurrence déloyale. "Les gros supermarchés peuvent acheter aux grossistes ce que nous, les petits commerçants en détail, nous n’avons pas les moyens de faire. Ils représentent une concurrence déloyale pour nous", témoigne-t-il à FRANCE 24.
Tout comme les partis de l’opposition, qui se sont emparés de cette cause en brandissant la menace du chômage de masse, Guruprasad redoute de voir fermer les unes après les autres les boutiques qu’il détient avec sa famille depuis plus de 40 ans. "Cette grève, c’est juste pour protéger nos emplois, parce qu’avec cette mesure, tous les petits commerçants comme moi vont se retrouver sans emploi, poursuit-il. On veut que les politiques réalisent cela et qu’ils nous soutiennent. On n’a pas d’autre choix que de se battre pour notre avenir."
Maninder Singh, qui dirige une petite épicerie familiale employant cinq personnes à Anandpur Sahib, dans l’État du Pendjab (Nord), redoute de son côté que l’ouverture du marché modifie profondément les habitudes des consommateurs au détriment des petites boutiques.
“En Inde, on voit de plus en plus de gens qui considèrent le shopping comme une sortie en soi ; alors ils vont se promener dans les grands centres commerciaux et sont de plus en plus sensibles aux marques, explique-t-il par téléphone à FRANCE 24. C’est vrai que les gros commerçants peuvent leur apporter cela en investissant dans les infrastructures mais non seulement ce sera plus cher pour le consommateur mais cela nous mettra tous au chômage !"
Une clientèle de plus en plus occidentalisée
Le gouvernement compte, lui, sur une relance de l’économie en perte de vitesse. Selon les experts, ces gros distributeurs sont autant de nouveaux clients pour les producteurs locaux et de fournisseurs pour une classe moyenne de plus en plus occidentalisée. Si cette dernière ne représente que 30 % au maximum de la population, cela équivaut néanmoins à un marché de 60 à 300 millions de consommateurs, moteurs de l’expansion économique indienne.
Pourtant, le gouvernement de centre-gauche, qui avait fait campagne en 2004 sur le thème de la lutte contre la pauvreté, peine à convaincre ses alliés et l’opposition du bienfait de ces réformes.
Manmohan Singh joue même sa place sur cette tentative de passage en force. Son allié clef, le Trinamool Congress (TMC), dirigé par la très populiste Mamata Banerjee, a annoncé qu’il se retirerait, vendredi, de la coalition au pouvoir si Singh persistait à imposer ces mesures. Un départ des six ministres et des 19 députés du Trinamool priverait alors le gouvernement d'une majorité au Parlement, rendant une nouvelle fois caduques les réformes économiques.
"Il n’est pas du tout évident de Singh parvienne à faire passer cette réforme, estime Christophe Jaffrelot, spécialiste de l’Inde au
Centre d'etudes et de recherches internationales (Ceri) à Paris. I l va falloir qu’il parvienne à plâtrer les défections dans son gouvernement après le départ d’une partie de sa coalition."
Il n'est pas plus évident que le gouvernement parvienne à se maintenir. La défection du TMC fait planer l’hypothèse d’élections générales anticipées, une opportunité pour l’opposition et les dissidents de la majorité. "En prenant le parti des petits commerçants et des foyers modestes, le TMC séduit autant de potentiels électeurs", poursuit Christophe Jaffrelot.