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Film anti-islam : une tribune inespérée pour Hassan Nasrallah et le Hezbollah

Le leader du Hezbollah a fait, ce lundi à Beyrouth, sa première apparition publique depuis 2008 devant des dizaines de milliers de partisans, à l'occasion d'une manifestation contre le film islamophobe "L’Innocence des musulmans". Décryptage.

Fait rarissime, Hassan Nasrallah a fait une apparition publique, lundi 17 septembre, dans la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah. Le secrétaire général du parti chiite s'est rendu en personne à la manifestation à laquelle il avait appelé dimanche contre "L’Innocence des musulmans", le film dénigrant l’islam qui a déclenché une flambée de violences dans le monde arabe. Lors d’une courte allocution, celui qui vit caché depuis la fin de la guerre de l'été 2006 entre Israël et le Hezbollah a fustigé les États-Unis devant des dizaines de milliers de partisans galvanisés par son apparition surprise.

Les États-Unis déconseillent à leurs ressortissants de se rendre au Liban

Les États-Unis ont déconseillé lundi 17 septembre à leurs ressortissants de se rendre au Liban et a suspendu les autorisations pour les étudiants américains souhaitant aller étudier dans ce pays. Le département d'Etat a mis en avant les risques d'enlèvement d'étrangers dans le pays alors que des violences antiaméricaines font rage dans les pays du monde arabe contre un film dénigrant l'islam produit aux Etats-Unis.

Le Liban est par ailleurs sujet à certaines tensions en raison du conflit en Syrie.

"Les citoyens américains qui vivent et travaillent au Liban doivent comprendre qu'ils acceptent un risque en restant dans le pays et ils doivent rester prudents", a indiqué le département d'Etat dans un communiqué.

"Le risque de violences spontanées demeure au Liban, où le gouvernement et les autorités ne sont pas en mesure de garantir la protection des citoyens ou des visiteurs au cas où ces violences éclateraient", a-t-il ajouté.

"Les conséquences seront dévastatrices [pour les États-Unis où le film a été réalisé et produit, ndlr]. Il n’y a pas de limites à nos actions pour défendre le Prophète", a-t-il averti, avant de préciser qu’il s’agissait "du début d'une mobilisation sérieuse qui doit se poursuivre à travers toute la nation islamique". "Mort à l'Amérique, mort à Israël !", lui ont répondu ses partisans euphoriques.

La veille, Hassan Nasrallah avait appelé ses partisans à manifester tout au long de cette semaine dans les bastions du Hezbollah : ce lundi dans la banlieue sud de Beyrouth, mercredi dans la ville côtière de Tyr (sud), vendredi à Baalbeck (est), samedi à Bint Jbeil au Sud-Liban et dimanche dans la Bekaa. "Vous devez montrer au monde entier votre colère et vos cris, lundi et les jours qui suivent", avait-il asséné.

Récupération politique ?

Une initiative que les experts jugent guère étonnate pour un parti islamiste ulcéré par les attaques contre le prophète Mahomet, mais disproportionnée par l’ampleur et la durée de la mobilisation réclamées à ses partisans. D’aucuns s’interrogent alors sur les motivations réelles du parti chiite. Décrit ces derniers temps par certains médias comme affaibli à cause de la situation dans laquelle se trouvent ses parrains iranien et syrien, le Hezbollah tenterait-il d’exploiter la colère du monde musulman ?

"La stratégie de Hassan Nasrallah consiste à repousser le spectre d’une confrontation éventuelle entre chiites et sunnites en désignant à l’ensemble des musulmans l’ennemi commun qui les défie, en l’occurrence les États-Unis et l’Occident", analyse sur l’antenne arabe de FRANCE 24 Fayçal Jalloul, journaliste et politologue spécialiste du Moyen-Orient. Ce qui, le silence des leaders arabes aidant, lui permet de se présenter en rassembleur des musulmans.

"Je ne suis pas certain que l’initiative de Nasrallah puisse l’aider à restaurer sa popularité ou à redorer son blason, si tel était son objectif, car il n’a plus la stature pour se poser comme un rassembleur tant son image est écornée au Liban et dans le monde arabe", juge de son côté Samir Frangié, ancien député et figure de l’opposition libanaise.

Si ce dernier confie à FRANCE 24 méconnaître les intentions réelles du Hezbollah, il estime que le leader chiite a "perdu toute crédibilité à cause du facteur syrien", tant son image est liée au régime de Bachar al-Assad qu’il défend mordicus depuis le début du soulèvement populaire syrien en mars 2011. "Lui qui s’est toujours présenté comme le défenseur des opprimés du monde arabe se borne à défendre l’indéfendable en Syrie, c’est-à-dire l’oppresseur au détriment des victimes. Son appel à manifester contre les États-Unis n’y changera rien", explique-t-il.

"Le discours de Hassan Nasrallah tranche avec le message de paix et de fraternité distillé par le Pape au Liban qui a beaucoup marqué la population, poursuit Samir Frangié. Il aurait mieux fait de jouer la carte de l’apaisement ou de l’islam ouvert et moderne pour se démarquer des salafistes et des extrémistes." Le leader chiite s’est en effet exprimé quelques heures à peine après le départ du pape Benoît XVI qui a effectué une visite épiscopale de trois jours au Liban.

Démonstration de force

De son côté, Ziad Majed, professeur des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris, estime que Hassan Nasrallah cherche avant tout à mobiliser la communauté chiite. "Plusieurs doutes ont été émis sur le Hezbollah ces derniers temps suite aux tergiversations de son leadership sur des questions liées à des évènements sécuritaires au Liban et à la crise en Syrie, explique-t-il. Pour les dissiper et montrer qu’il reste maître de la situation, Hassan Nasrallah a besoin de remobiliser ses partisans en procédant à une démonstration de force."

La vague de colère déclenchée par la diffusion en ligne du film "L’Innocence des musulmans" lui a offert une tribune inespérée pour atteindre son but. "Il peut ainsi démontrer d’une part que sa popularité est intacte au sein de la grande majorité de la communauté chiite, et d'autre part que cette dernière, considérée par les extrémistes sunnites comme hérétique, est également touchée par les attaques contre le prophète", décrypte Ziad Majed.

L’occasion également de répondre aux menaces israéliennes et aux sanctions récemment prises à son encontre par les États-Unis, notamment pour son soutien au régime syrien.  "En somme, Hassan Nasrallah leur répond : 'Vous me menacez, je suis toujours là. Vous pensiez m’affaiblir, je suis toujours là'", conclut Ziad Majed.