"Bernard, si tu reviens, on annule tout !", titre en une "Libération", en réponse à la plainte déposée lundi 10 septembre contre le quotidien, par le patron de LVMH, Bernard Arnault. Cette nouvelle provocation est loin de faire l'unanimité.
Les unes du journal "Libération" n’en finissent plus de faire parler. Après le titre de lundi "Casse-toi riche con !", détournant une célèbre réplique de Nicolas Sarkozy pour épingler le projet de naturalisation belge de Bernard Arnault, le PDG de LVMH, la une du mardi 11 septembre fait à nouveau débat. Le journal poursuit la provocation : toujours en référence à l'ancien président, il titre "Bernard, si tu reviens, j’annule tout !", en réponse à la plainte conte le quotidien déposée lundi par l’homme le plus riche de France.
Un buzz réussi
Si l’objectif des responsables de "Libération" était faire parler du journal, l’effet est réussi. Les deux ouvertures du quotidien n’ont pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux. Il y a d'abord de l'incompréhension chez les internautes. Pourquoi "Libération" utilise le style de Nicolas Sarkozy qu'il a tant combattu si c'est pour faire pire ?, s'interrogent de nombreux internautes sur Facebook. Sur Tweeter, nombreuses sont les réactions affligées, à l’instar du tweet de @ChrisLemazurier pour qui "Libé s’enfonce et s’auto-humilie". Certains s’interrogent sur l’avenir éditorial du quotidien. "Bizarre cette une de @liberation_info. Je ne partage pas la décision d'Arnault, mais là #Libé se transforme en Sun", surenchérit @jflaloue. D’autres, au contraire, se régalent de l’impertinence du journal, à l’exemple de @GrandjeanMartin : "L'ÉNORME réponse de #Libération à #Arnault, [...] Sensationnel pied de nez !"
"Libération est aux abois, tous les moyens sont bons pour attirer l’attention"
Dans son éditorial du mardi 11 septembre, Nicolas Demorand, le directeur de la rédaction de "Libération", se défend de toute provocation purement gratuite. À travers les deux une successives, le patron du journal entend, au contraire, mettre le doigt sur les injustices sociales dans le pays. "Jusqu'à présent, ‘l'hyperclasse’ ne semble prendre aucune conscience ni de son rôle, ni de sa responsabilité. Elle survole le volcan [...] Aux politiques de prendre la question à bras-le-corps [...] en mobilisant les quelques outils qu'il reste à leur disposition pour réduire ces inégalités", écrit-il ainsi.
"Balivernes", rétorquent les septiques qui y voient là une pure stratégie marketing. "Est-ce du mauvais journalisme ? Je ne crois pas, assure à FRANCE 24 le sociologue Daniel Dayan. Ce n’est pas du tout du journalisme. "Libération" est aux abois et tous les moyens sont bons pour attirer l’attention, montrer que le journal est encore vivant." Le spécialiste des médias concède toutefois une entreprise réussie : "Ils ont essayé de créer un scandale, monter un feuilleton de toute pièce et tout le monde en parle, c’est un très bon coup commercial".
Des unes diversement appréciées par la profession
"Ça ne m’a pas choqué. C’est tout à fait dans le style provocant de Libération et j’ai pensé que c’était une très belle opération marketing", a déclaré lundi 10 septembre sur Canal + le baron Édouard de Rothschild, principal actionnaire de "Libération". Si personne ne conteste la démarche commerciale de l’affaire, beaucoup de journalistes et d’analystes regrettent en revanche la manière dont le sujet a été traité. Renaud Revel, rédacteur en chef de "l’Express" est l’un d’entre eux : "Outre le discrédit que ces une jettent sur la rédaction du journal, c’est à l’ensemble de la presse écrite et des journalistes que l’on fait du mal", estime le journaliste, interrogé par FRANCE 24. Et d’ajouter : "La question du taux d’imposition, l’évasion fiscale sont des questions intéressantes, elles auraient mérité un traitement en profondeur".
Interview du Baron de Rothschild dans l'émision du Grand Journal de Canal + (10 septembre 2011)
Même réaction de Jean-Marie Charon, sociologue spécialiste des médias, pour qui la deuxième une est "anecdotique et superficielle au regard du sérieux de l’actualité nationale et internationale." Le blogueur Hugues Serraf porte également un regard très critique sur le quotidien, dans sa tribune publiée sur le site internet "Slate.fr". "On peut bien penser ce qu’on veut de Bernard Arnault, de son désir d’allégeance au roi des Belges et de la fragilité de son "patriotisme" (argh!) à l’heure de la crise, mais cette façon de grimper dans le train des conspueurs à courte vue quand on est censé faire partie de la volaille qui fait l’opinion est des plus dérangeantes... ", écrit-il. Enfin, en une du "Monde" à paraître le 12 septembre, Plantu se paye la tête du quotidien. Sur le dessin, on peut voir l'un des responsables de "Libération" s'exclamer en conférence de rédaction : "J'ai un super titre pour demain : caca la droite!"
L’avenir du journal
Pour Jean-Marie Charon, les deux récentes une de "Libération" correspondent à l’identité que s’est forgée le journal au fil de son histoire. "Le lectorat ne va pas être choqué par ces deux unes. Demorand poursuit la stratégie de Laurent Joffrin qui consistait à recentrer la ligne éditoriale autour des valeurs de gauche, en rupture avec la stratégie de Serge July, qui au contraire, souhaitait ouvrir son journal au plus grand nombre", affirme t-il à FRANCE 24. Aux yeux de l’analyste, le quoditien se trouve confronté à la même situation que le journal "Matin de Paris" dans les années 80, fervent supporter de François Mitterrand, qui a disparu après son élection faute d’avoir trouvé le bon registre. Renaud Revel explique que même s’il est "toujours plus facile d’être dans l’opposition pour la presse, "Libération", comme le "Nouvel Observateur" l’a fait, doit pouvoir trouver sa place sans tomber dans la facilité."