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Isla de Tierra, caillou inhabité, nouvelle porte d'entrée des sans-papiers

Quatre-vingt trois migrants venus d'Afrique subsaharienne ont été délogés de l'île de Terre. L’enclave espagnole, située à quelques dizaines de mètres des côtes marocaines, est un caillou inhabité, sans surveillance militaire.

Elle s’appelle Isla deTierra, l’île de Terre en français. C’est là, sur ce petit bout de territoire espagnol, à quelque 50 mètres de la côte nord-est du Maroc, que des dizaines de migrants originaires d’Afrique subsaharienne ont été délogés au petit matin mardi par les forces de l’ordre espagnoles et marocaines. Grand comme un terrain de football, l’ilot rocheux est atteignable à la nage ou à pied, à marée basse depuis le Maroc. Une porte d’entrée idéale vers l’Europe, mais un véritable casse-tête pour les autorités espagnoles.

Malgré son visage inhospitalier, 19 migrants avaient élu domicile mercredi 29 août sur ce bout de terre inhabité appartenant à l'archipel des Alhucemas, un dernier vestige de la présence espagnole en Afrique du Nord. Situé à proximité des enclaves espagnoles Melilla et Ceuta, seules frontières terrestres entre l'Afrique et l'Europe. Ces deux territoires, réclamés par le Maroc, placent l’Espagne en chef de file de la politique européenne de contrôle des frontières.

La migration du "désespoir"

"C’est une histoire malheureusement très classique. Ses Subsahariens sont forcés à la migration par désespoir, pour fuir la misère et ces enclaves ne sont qu’une étape, un lieu de passage pour atteindre l’autre rive", explique Mohamed Khachani, docteur en économie et président de l’Association Marocaine d’Études et de Recherches sur les Migrations (Amerm) à FRANCE 24. "D’après une enquête que nous avons menée à l’Amerm, ils sont 73 % à continuer leur périple de l’autre côté de la Méditerranée".

Lorsque des clandestins réussissent à pénétrer à Ceuta et à Melilla, ils sont pris en charge par les autorités espagnoles, placés dans des centres d'accueil, puis reçoivent une carte de séjour. Fin août, après un incident avec une soixantaine de clandestins ayant tenté de passer en force, le dispositif de sécurité a été renforcé à Melilla.

Mais l’arrivée dimanche d’une nouvelle vague de 68 autres sans-papiers à Isla de Tierra est venue changer la donne, faisant de l’ilot une nouvelle porte d’entrée à gérer en plus de Melilla et Ceuta. Jusqu’à présent, les clandestins passaient par des routes connues et largement empruntées par les réseaux d’immigration clandestine. Dorénavant, ces immigrants optent pour de minuscules territoires, plus faciles à atteindre. "C’est un rocher où il n’y a pas de soldats", insiste Mohamed Khachani. "Et il y en a plusieurs autres comme ça".

Les autorités espagnoles contraintes de réagir

Face à la situation très précaire des clandestins arrivés à Isla de Tierra, les autorités espagnoles ont dû mettre en place une aide humanitaire d’urgence ces derniers jours. Des couvertures, de l'eau et de la nourriture leur ont été distribués en attendant qu’une décision soit prise quant à leur sort : être transférés vers Melilla ou vers la péninsule ibérique.

Alors que l’Espagne multiplie les cures d’austérité pour faire face à la crise, la gestion de ce dossier s’est révélée être un véritable casse-tête. Il fallait agir vite pour "éviter que d'autres migrants arrivent sur les rochers espagnols", a confié le porte-parole du ministère espagnol de l'Intérieur.

Un contre-la-montre a alors débuté pour trouver une solution avec les autorités marocaines. Dans la nuit du 3 au 4 septembre, une opération a donc été menée de concert par les deux pays. "Dix migrants, des mineurs et des mères de famille, ont été amenés en Espagne et sont à Melilla actuellement", a indiqué le ministère espagnol de l'Intérieur. Selon les médias, ils sont en observation médicale. Mais "73 migrants ont été envoyés au Maroc pour être rapatriés", a-t-il ajouté, une information confirmée à Rabat. Ils ont été "pris en charge" par les forces de l'ordre dans l'attente de leur expulsion vers la frontière algérienne, d'où les migrants pénètrent traditionnellement dans le royaume.

Bien que le Maroc se défende de jouer le rôle de gendarme de l’Europe sur les questions d’immigration, le passage vers l’Espagne reste de plus en plus périlleux. Tant et si bien que 2,5 % des migrants originaires d’Afrique subsaharienne décident de rester au Maroc, souligne Mohamed Khachani. "Le pays est en pleine transition démographique, il y a une véritable pénurie de main-d’œuvre dans le secteur agricole, mais aussi les services. L’heure est à la flexibilité", ajoute-t-il en soulignant que "15 à 20 % de la population marocaine est d’origine subsaharienne. L’intégration de ces populations est donc plus facile".

La "criminalisation" des migrants illégaux en Europe

Du côté de l’Espagne, l’heure n’est en revanche pas à la flexibilité. Madrid a récemment durci les mesures contre les sans-papiers, toujours avec l’objectif de réduire les déficits publics de 8,9 à 6,3 % en 2012. Ainsi, depuis le 1er septembre, ils ne peuvent plus être soignés par les médecins du public. Désormais, seuls les enfants et les femmes enceintes ont accès aux soins gratuits ainsi que les cas d’urgence.

"Il y a une tendance croissante à criminaliser les migrants illégaux en Europe", déplore Amnesty International dans un rapport intitulé "SOS EUROPE : les droits humains et le contrôle de l’immigration", publié en juin 2012. L’ONG a d’ailleurs lancé une pétition pour forcer le Parlement européen à obliger les pays membres à rendre des comptes sur le traitement réservés aux sans-papiers.

La balle est donc plus que jamais dans le camp de l’Europe. "Il faut que l’Union européenne s’investisse davantage dans ce dossier car le Maroc ne peut pas empêcher le flux des migrants", plaide Mohamed Khachani. "Il est indispensable de réagir autrement que par des mesures sécuritaires. L’Europe a une responsabilité historique".