Trente ans après la rupture des premières négociations de paix, un accord visant à ouvrir des pourparlers à l'étranger a été conclu entre le gouvernement colombien et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).
La rumeur courait depuis plusieurs jours. Elle a été confirmée lundi 27 août par le président colombien en personne, Juan Manuel Santos, au cours d’une brève apparition à la télévision : le pouvoir va engager des pourparlers de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), la plus ancienne rébellion armée d’Amérique latine.
"Depuis le début de mon mandat, j'ai respecté l'obligation constitutionnelle de chercher la paix, a déclaré le chef de l’État au pouvoir depuis 2010. C'est dans ce sens que des conversations exploratoires ont eu lieu avec le mouvement armé."
"Premièrement, nous allons apprendre des erreurs du passé et ne pas les répéter. Deuxièmement : un processus de négociation, quel qu'il soit, doit conduire à la fin du conflit et non pas à sa prolongation. Troisièmement : les opérations et la présence militaire se maintiendront sur chaque centimètre carré du territoire national." Ce sont les "principes directeurs" des négociations à venir", a précisé Juan Manuel Santos, lors de son allocution télévisée.
Erreurs du passé
Le successeur d’Alvaro Uribe, farouchement opposé à toute forme de négociations, veut donc mettre fin à une guerre qui a fait plus de 400 000 morts en près d’un demi-siècle. Mais la prudence reste de rigueur. D’autres tentatives de dialogue ont été menées depuis 1982. À l’exception de celui d’Uribe, tous les gouvernements colombiens qui se sont succédé ont tenté l’exercice. En vain.
Dernières en date, les négociations menées en 1999 par Andres Pastrana, le président d’alors. À cette époque, malgré la démilitarisation d’une zone de 42 000 kilomètres carrés dans la région amazonienne du Caguan, jamais le cessez-le-feu n’avait été respecté en trois ans de dialogue. "Je pense que le président Pastrana a offert à la guérilla un statut qu’elle ne méritait pas à l’époque, analyse pour FRANCE 24 Jean-Pierre Ferro, président d’Interlira Amérique latine et expert en négociations de crise. Quand le président Santos parle de ne pas reproduire les erreurs du passé, je pense qu’il fait référence à cela. Sans compter que les Farc sont beaucoup plus vulnérables qu’à ce moment-là."
itAprès dix ans d’une "guerre contre le terrorisme" menée sans merci par le président Alvaro Uribe, avec l’aide, entre autres, de Juan Manuel Santos, qui fut son ministre de la Défense, la Colombie vit donc sans doute un tournant. "Si les Farc n’arrivent pas à faire la paix maintenant avec le gouvernement, il n’y aura peut-être jamais la paix en Colombie", prévient Roméo Langlois, journaliste à FRANCE 24 et otage des Farc pendant 33 jours.
Marxisme et narcotrafic
Fondées en 1964, les Farc, principale guérilla du pays, ont vu leurs effectifs se diviser par deux en dix ans après une série de revers militaires. Selon les autorités colombiennes, elles comptent quelque 9 200 combattants, repliés dans les régions rurales du pays, où elles vivent largement de narcotrafic et de racket. "Les Farc sont plus proches de la criminalité que de l’entité révolutionnaire qu’elle fut à sa naissance", estime Jean-François Gayraud, docteur en droit et membre de l’Institut de criminologie de Paris. Observation nuancée par Roméo Langlois, pour qui les Farc restent avant tout un "mouvement politique". "Ce sont des paysans qui ont été spoliés de leurs terres, exclus politiquement. Ils ont des exigences en matière sociale, en termes de réforme agraire. C’est loin de n’être qu’un cartel de la drogue".
Selon le journaliste de FRANCE 24, les espoirs de paix reposent en grande partie sur une résolution du conflit social qui oppose depuis 48 ans la rébellion marxiste au gouvernement. Ce dernier "a fait de nombreux gestes vers les Farc, il a essayé de redistribuer un peu les terres. Les guérilleros ont également envoyé des signaux comme la fin des enlèvements contre rançon".
Autre enjeu, le traitement judiciaire réservé à tous ceux qui choisiront de déposer les armes. "Les Farc ont forcément en tête les négociations avec les groupes d’extrême droite, les Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Ces dernières ont commis des exactions absolument terribles, c’est l’une des plus sales guerres que l’ont ait connue. Elles ont pu se réinsérer dans la plus grande impunité", rappelle Jean-François Gayraud.
Négociations en Norvège ou à Cuba
Pour préparer le terrain, le Parlement colombien a approuvé à la mi-juin un projet de réforme constitutionnelle destinée à encadrer une éventuelle démobilisation des combattants de la rébellion. Reste à définir le calendrier des négociations qui pourraient, selon des médias colombiens, se dérouler à partir d'octobre en terrain neutre, d'abord en Norvège puis à Cuba. Dans un geste qui ne manquera pas de froisser son prédécesseur Uribe, le président Santos aurait également demandé la présence du président du Venezuela, Hugo Chavez, en guise d’"accompagnateur".
La presse colombienne s’est fait fort de souligner qu’un succès sur le chemin de la paix pourrait s’avérer déterminant pour les espoirs de réélection de Santos en 2014, malmené dans les sondages, ainsi que pour Chavez. Selon une enquête d’opinion publiée la semaine dernière, 74 % de Colombiens se disent en faveur de négociations avec la rébellion marxiste.