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La succession de Meles Zenawi, source d’incertitude dans la Corne de l’Afrique

La mort du Premier ministre éthiopien Meles Zenawi laisse un vide politique dans le pays et préoccupe les grandes puissances étrangères pour qui Addis-Abeba doit rester un acteur de stabilité dans la région.

Le deuil national se poursuit en Éthiopie, trois jours après la mort du Premier ministre Meles Zenawi, dans la nuit du lundi 20 au mardi 21 août. Comme le veut l’article 75 de la Constitution éthiopienne, c’est le vice-Premier ministre, Hailemariam Desalegn, qui assure l’intérim. Le Parlement éthiopien devrait être convoqué en session extraordinaire dans les prochains jours afin de désigner officiellement Hailemariam Desalegn comme successeur de Meles Zenawi jusqu’aux prochaines élections, en 2015. Âgé de 47 ans, ce protégé de Meles Zenawi occupait jusqu’ici le poste de ministre des Affaires étrangères depuis 2010.

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Portrait de Meles Zenawi
La succession de Meles Zenawi, source d’incertitude dans la Corne de l’Afrique

La question sécuritaire dans la Corne de l’Afrique

Les conséquences de la mort de Meles Zenawi pourraient dépasser largement les frontières de l'Éthiopie. Par sa personnalité et son poids personnel, le Premier ministre éthiopien s’imposait sur les dossiers régionaux. "Les développements des prochaines semaines en Éthiopie pourront affecter le paysage économique, politique et sécuritaire de la Corne de l’Afrique pour des années", estime Jason Mosley, du centre de réflexion Chatham House, cité par l’AFP.

Une opposition muselée sous Zenawi

Nombre de dissidents et journalistes ont été emprisonnés sous Meles Zenawi ; les opposants et leurs soutiens ont reçu de sérieuses menaces. Aux élections de 2010, comportant des irrégularités flagrantes, l’opposition n’avait obtenu qu’un seul député sur 537 parlementaires. Depuis, l’opposition ne dispose pas de figures, aussi bien sur le plan national qu’en exil.

L’Éthiopie de Meles Zenawi s’est en effet fortement impliquée dans la guerre contre le terrorisme, se présentant en première ligne face aux extrémistes islamistes. Cet engagement lui permettait de recevoir annuellement quelque 600 à 800 millions d’euros d’aide de la part des États-Unis.

Fin 2006 et début 2007, quand Washington et Addis-Abeba se sont associés pour lutter contre un mouvement islamiste qui avait pris le contrôle de presque tout le territoire de la Somalie, les islamistes se sont réunis en un groupe, les Shebab, obtenant le soutien des Somaliens furieux d’être envahis par l’Éthiopie. Preuve du poids de Zenawi dans la région, les Shebab se sont rapidement félicités de sa disparition. "Nous sommes très heureux de la mort de Meles. L’Éthiopie va s’effondrer", a déclaré le porte-parole Sheikh Ali Mohamud Rage à l’agence Reuters.

Autre motif d'inquiétude : le différend frontalier avec l’Érythrée. À l’origine d’une guerre très meurtrière entre 1998 et 2000, la discorde des deux frères ennemis pourrait être source d'un regain de tension. Toutefois, l’Érythrée, indépendant depuis 1993, "aurait beaucoup à perdre s’il se risquait à défier l’Éthiopie dont l’armée est prête et équipée", estime Patrick Ferras, directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique.

Les rivalités ethniques et religieuses

Meles Zenawi avait concentré tous les pouvoirs entre les mains d’une petite minorité ethnique, les Tigréens, qui représentent 6 % des 85 millions d’habitants du pays. Les Amhara, qui ont traditionnellement dirigé le pays avant l’arrivée de Zenawi, pourraient pousser pour revenir dans les hautes sphères du pouvoir. S’il était nommé, Hailemariam Desalegn, membre de l’ethnie Welayta, venue du Sud, deviendrait le premier chef du gouvernement éthiopien non issu des ethnies Tigray ou Amhara.

Le Premier ministre défunt s’était également fortement engagé dans la médiation entre les deux Soudans. L’Éthiopie représente d’ailleurs encore aujourd’hui la quatrième force de maintien de la paix dans le pays, avec 4 000 hommes déployés dans la région disputée d’Abyei. Après la mort de Meles Zenawi, le gouvernement du Soudan du Sud a déclaré trois jours de deuil national.

"Diplomatie économique"

Patrick Ferras rappelle que "la politique étrangère de l’Éthiopie depuis Meles Zenawi, c’est de la diplomatie économique". Le pays affiche une croissance élevée : 7 à 8 % annuels sur la dernière décennie, sans doute 11 % cette année. Aussi Addis-Abeba souhaite-t-il continuer dans cette voie alors que 25 millions de personnes vivent dans une situation d’extrême pauvreté et de malnutrition.

L’Éthiopie, confrontée à une inflation galopante, devrait voir sa population presque doubler, atteignant 150 millions de personnes à l’horizon 2050, selon l’Institut national d'études démographiques (Ined). La crainte de nouvelles émeutes de la faim est bel est bien réelle alors que les paysans ne produisent pas assez pour survenir à leurs propres besoins. La stabilité à la tête de l’État apparaît donc nécessaire pour rassurer les bailleurs de fonds, notamment européens, et les investisseurs, tout particulièrement la Chine avec qui Meles Zenawi avait noué des liens privilégiés.

La porte-parole de la diplomatie éthiopienne, Dina Mufti, l’a assuré : les politiques "intérieure et étrangère" du pays sont "là pour durer". Son système devrait survivre, "la succession de Meles Zenawi sera extrêmement difficile car l’Éthiopie a connu 21 ans de vide politique du fait de sa présence à la tête de l’État", explique Patrick Ferras. L’ancien homme fort d’Addis-Abeba était arrivé à la tête du pays en 1991 en menant une guérilla qui avait fait tomber le régime du dictateur Mengistu Hailé Mariam. Ensuite, il avait bâti un système politique, économique, militaire et sécuritaire dont il était le seul et unique chef. "Tout successeur arrivera donc avec un passé politique qui paraîtra léger", résume Patrick Ferras, qui prédit une gestion beaucoup plus collégiale de l’État.

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"L’Éthiopie a connu de grands progrès sur les plans économique et social"
La succession de Meles Zenawi, source d’incertitude dans la Corne de l’Afrique