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"Le procès de Gu Kailai était totalement politique"

Gu Kailai, l'épouse du haut dirigeant chinois déchu Bo Xilai, a été condamnée ce lundi à la peine de mort avec sursis pour assassinat. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche à Sciences Po, décrypte pour FRANCE 24 les dessous du procès.

Le tribunal de Hefei, dans l'est de la Chine, a condamné Gu Kalai, la femme de l'ancien haut dirigeant communiste Bo Xilai, à la peine de mort avec sursis pour l’assassinat de Neil Heywood, un ami de la famille. Si dans les deux ans elle ne commet pas de nouveau délit, cette sentence sera automatiquement commuée en réclusion à perpétuité avec une période de sûreté de 25 ans. La brillante avocate a été reconnue coupable d'empoisonnement. Elle aurait administré du cyanure à Neil Heywood, un homme d'affaires britannique, pour des questions d'argent.

Mais pour Jean-Luc Domenach, sinologue et directeur de recherche à Sciences Po Paris, ce procès visait en réalité l’époux de l’accusé, Bo Xilai. Ancien dirigeant du Parti communiste de la ville-province de Chongqing (Sichuan), il était considéré comme l’une des étoiles montantes du PCC. Mais son style politique atypique était vu d’un mauvais œil par certains cadres communistes. Exclu du comité central, ce Kennedy chinois serait aujourd’hui en résidence surveillée. Accusé de "graves violations à la discipline" du Parti, il est dans l'attente de son procès. Les explications pour FRANCE 24 de Jean-Luc Domenach.

Gu Kailai a été condamnée à la peine de mort avec sursis. Que représente concrètement cette sentence ?

Jean-Luc Domenach : On est dans un régime où la peine judiciaire est constamment modifiée. Il ne s'agit pas d'une peine qu'elle va subir. Les autorités chinoises veulent faire savoir à l'étranger que ce qu'elle a fait est sérieux, mais comme elle a montré de la contrition et une volonté de rééducation, cette peine sera exécutée seulement si elle se conduit mal. Ce qui prouve bien qu'elle est entre leurs mains. Il faut qu'elle se tienne à carreaux pendant deux ans. La décision qui lui vaudrait la mort serait une décision finalement administrative et non judiciaire. On dit aussi à son mari: "Ne bouge pas, sinon elle aura des ennuis".

On est dans un système qui, même s'il a beaucoup progressé depuis des années, réserve toujours au pouvoir une capacité d'interprétation extraordinaire. Le grand progrès par rapport à l'époque de Mao Zedong, c'est qu'avant on ne se donnait pas la peine de faire un procès. On est désormais obligé de prendre des formes et de dire des choses à l'étranger, car ce sont des partenaires politiques et économiques.

Peut-on dire qu'il s'agit d'un procès politique et qu'il visait en réalité son mari Bo Xilai ?

J.-L. D. : C'est un procès totalement politique car les preuves contre elle ont été acquises au cours d'une opération qui ciblait son mari. Pour moi, c'est clair, il n'était pas le plus puissant, mais il était le plus brillant de tous. Je l'ai rencontré personnellement. Il n'est pas du même genre que les autres. C'est un type qui parle couramment anglais et est un séducteur. Il détonnait complètement. C'est un dirigeant de rang international. C'est une perte pour la Chine et cela se sait dans le pays.

Mais il a fait une bêtise et les plus puissants se sont ralliés contre lui. L'erreur qu'il a faite, c'est de ne pas avoir su tenir son responsable des basses œuvres qui s'est tourné du côté des Américains et a dit des choses contre lui [Wang Lijun, l'ancien chef de la police de Chongqing, s'est réfugié en février au consulat des Etats-Unis et a raconté aux diplomates américains ses soupçons concernant le meurtre de Heywood, ndlr]. À partir de là, il y a eu des preuves de la corruption et des agissements peu respectueux du droit par Bo Xilai. On a d'abord visé sa femme, car c'était un cas qui pouvait être utilisé en terme judiciaire.

Bo Xilai fait actuellement l'objet d'une enquête interne du Parti communiste pour "violation de la discipline du parti" et serait en résidence surveillée. Quel sort va lui-être réservé par la justice chinoise ?

J.-L. D. : Ils sont en train de passer au peigne fin tout ce qu'il a fait dans sa carrière. Ils vont remonter à l'époque de sa jeunesse, au temps de la Révolution culturelle. Il était seul à l'époque. Sa mère a été "suicidé" par les gardes rouges et son père était en résidence surveillée. Ils vont s'intéresser à son passé de cadre local, quand il considérait que tous les règlements ne lui convenaient pas.

Concernant son procès, c'est dans la tradition des procès staliniens, mais il va être de nature assez neuve. Cela ne va pas être une simple purge, car c'est quelqu'un de dimension internationale. On ne sait pas si les autorités vont l'ouvrir au public. C'est très compliqué. Le Comité permanent du bureau politique [le saint des saints du pouvoir chinois qui compte neuf membres, ndlr] ne va pas décider de le fusiller car ce serait un risque terrible, mais il ne va pas non plus le laisser libre de parler devant les caméras étrangères. Tout dépendra de l'accord qui va être trouvé entre ces neuf dirigeants. Ils ont en tout cas intérêt à faire vite car l'effet sur l'opinion est dévastateur. Ce qui agite l'opinion en Chine, ce ne sont pas les dissidents, mais c'est l'idée que l'argent conduise au pouvoir et que le pouvoir donne lieu à de l'argent. Il faut que les autorités arrivent à rendre crédible le fait que le Parti et le procès de Bo Xilai ne sont pas liés.