Le président sud-africain Jacob Zuma a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la répression sanglante de la grève des mineurs de Marikana, où 34 personnes ont été tuées par la police. Des violences qui ont ranimé le spectre de l’apartheid.
Le président sud-africain Jacob Zuma a ordonné vendredi l’ouverture d’une enquête officielle sur l'opération policière la plus meurtrière menée depuis la fin de l'apartheid. "Nous devons faire éclater la vérité sur ce qui s'est passé, c'est pourquoi j'ai décidé d'instaurer une commission d'enquête pour découvrir les causes réelles de cet incident", a déclaré le chef de l'Etat à Marikana, dans une allocution retransmise en direct à la télévision.
"Nous pensons que notre système démocratique offre suffisamment d'espace pour résoudre les conflits par le dialogue sans atteintes à la loi, ni violences", a-t-il déclaré dans un premier communiqué. "C'est inacceptable dans notre pays, qui est un pays où tout le monde se sent bien, un pays avec une démocratie que tout le monde envie", a estimé le chef d'Etat dans un communiqué ultérieur.
"C’est un véritable choc", déclare Anne Dissez, journaliste spécialiste de l’Afrique australe, rédactrice en chef de Lenaka.info, jointe par FRANCE 24. "Il y a des centaines de petits soulèvements dans les "townships" ruraux. La police intervient, mais pas en tirant frontalement sur les manifestants avec des balles." Les images de policiers tirant sur des grévistes noirs, eux-mêmes armés, a ravivé le souvenir des luttes sanglantes contre le régime de l’apartheid. Vendredi, la presse sud-africaine consacrait sa Une au "massacre de Marikana" et dénonçait un "bain de sang" digne des heures les plus sombres de l'apartheid. Depuis l'abolition du régime ségrégationniste, en 1994, et l'avènement de la démocratie, jamais une opération policière n’avait conduit à la mort d’autant de personnes.
Ordre public ou conflit social ?
La police, débordée par un groupe de mineurs armés de machettes, de gourdins, de barres de fer et d'armes à feu, a assuré avoir agi "en état de légitime défense". Mais le feu des forces de l’ordre a été nourri et a duré de très longues secondes, même après l’appel au cessez-le-feu d’un officier (voir la vidéo). "La police avait planifié tout ça. C’était planifié à très haut niveau. (…) La police a écrabouillé des gens, ils ont tué des innocents. Ils ont employé une force démesurée et utilisé des balles réelles avec des pistolets automatiques, des AK-47", raconte Jeff Mphahlele, secrétaire-général de l’Association of Mineworkers and Construction Union (ACMU), joint par RFI. Pour le syndicaliste, la faute revient à la direction de Lonmin, entreprise minière britannique cotée en Bourse, propriétaire de la mine de Marikana. "On a supplié notre direction de négocier mais malheureusement ça n’a pas été le cas. (…) Ils ont été têtus. Ils n’ont en rien aidé les syndicats", estime Jeff Mphahlele.
Vidéo de la fusillade filmée par l'agence Reuters (attention, ces images peuvent heurter la sensibilité de certains spectateurs)
Jeudi soir, le président de Lonmin, Roger Phillimore, avait implicitement rejeté la responsabilité des affrontements meurtriers sur les policiers. "La police sud-africaine était chargée de l'ordre et de la sécurité sur le terrain depuis le début des violences entre syndicats rivaux, ce week-end", relevait-il dans un communiqué, estimant qu’il s’agissait d’une "affaire d'ordre public plutôt qu'un conflit social" tout en "déplorant profondément ces décès".
Le 16 août, Lonmin avait pourtant refusé de négocier toute augmentation de salaire et menacé les grévistes de licenciement s’ils ne reprenaient pas le travail. Certains mineurs réclamaient 12 500 rands (1 250 euros) par mois, soit plus du triple de leur salaire - d'environ 4 000 rands (400 euros) mensuels. La plupart des mineurs vivent dans des baraquements insalubres, sans eau courante, à quelques centaines de mètres du puits principal.
Le congrès de l’ANC en ligne de mire ?
itDès le 10 août, au premier jour de la grève, des violences intersyndicales avaient éclaté. Les grévistes avaient été encouragés par le petit syndicat AMCU, dont certains membres estimaient que les mineurs, dont beaucoup sont illettrés, préféraient mourir plutôt que d'abandonner la colline où ils étaient rassemblés. L’ACMU, fondé récemment, se pose en concurrent de la National Union of Mineworkers (NUM), proche du Congrès national africain (ANC), parti au pouvoir en pleine désaffection. Les heurts entre les deux syndicats avaient déjà fait dix morts, dont deux policiers, une semaine avant la tuerie de jeudi.
À quatre mois du congrès électif de l’ANC prévu à Bloemfontein, certains évoquent l’instrumentalisation de cette lutte syndicale par des factions du parti au pouvoir opposées à la réélection du président Jacob Zuma pour un second mandat. L’AMCU dénonce le manque de zèle du NUM à défendre ses membres, rappelant que le fondateur du syndicat proche de l’ANC, Cyril Ramaphosa, est une figure majeure du parti et siège au conseil d’administration de Lonmin.
Vendredi matin, aucune liste des victimes n’avait encore été publiée. Environ 2 000 employés de la mine s’étaient rassemblés à proximité, dans une ambiance tendue tandis que certaines femmes cherchaient toujours leur mari ou frère disparu. "Nous avons besoin de retourner auprès de la direction et nous allons leur dire : ‘Votre plan a été mené à bien, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?’ Nous, on ne souhaite rien d’autre qu’un règlement rapide de la situation et que chacun puisse reprendre le cours de sa vie", déclarait le secrétaire-général de l’ACMU sur RFI.
Pour Anne Dissez, passé le temps de l’émotion, "les problèmes syndicaux vont se régler" mais "il est encore trop tôt pour dire si la tuerie de Marikana va peser dans le résultat de la conférence nationale de l’ANC, à Bloemfontein". Le président Jacob Zuma s'est rendu vendredi sur les lieux du drame.