Depuis 2011, par six fois, des requins s’en sont pris aux hommes sur les plages de l'île de la Réunion, située dans l'océan Indien. Après trois attaques mortelles, des voix s’élèvent pour demander des solutions radicales.
Dimanche, en fin d’après-midi, un surfeur a vu son bras droit arraché et une partie de sa jambe droite sectionnée par un requin, au large de la côte ouest de La Réunion. Deux semaines plus tôt, Alexandre Rassiga, 21 ans, était tué par un squale sur le spot de Trois-Bassins. Depuis 1972, seule une attaque par an était dénombrée. Les quatre attaques survenues en 2011 et celles des dernières semaines ont relancé le débat autour de la cohabitation entre les squales et les hommes sur le littoral réunionnais.
"Personnellement, je n’ai pas surfé depuis des jours car j’ai désormais la hantise des requins. Il faut trouver des solutions rapidement, cette situation ne peut plus durer", confie Jérémy Attyasse, directeur de la Ligue réunionnaise de surf, à l’équipe des Observateurs de FRANCE 24. "À mon avis, il faut prendre des mesures radicales et prélever [pêcher] les requins dans les zones à risques, parce que des vies humaines sont en danger. Quand un chien mord une personne dans la rue, généralement on ne se pose pas de question : on le pique", ajoute le surfeur.
Mise à prix
Jusqu’à présent, l'État a toujours refusé des "battues de régulation" de la population de requins. Mais lundi, la préfecture a voulu faire baisser la tension d’un cran en annonçant qu’un pêcheur professionnel serait chargé "dès cette semaine" de prélever (pêcher) une vingtaine de requins à des fins d’analyses sanitaires. Le but : étudier la chair des squales pour identifier la présence de ciguatera, une toxine extrêmement dangereuse pour l'homme qui est à l'origine de l'interdiction de la commercialisation du requin bouledogue. En fonction des résultats des analyses, un arrêté préfectoral pourrait permettre aux marins de reprendre la pêche de l'espèce. Pour sa part, la municipalité de Saint-Leu, où a eu lieu l'attaque de dimanche, a confirmé sa volonté d'organiser la pêche de requins tigre et bouledogue sur ses côtes. Mise à prix : 2 euros le kilo pour les spécimens de plus de 1,50 mètre.
En octobre 2011, les autorités avaient déjà lancé le programme CHARC (Connaissances de l’écologie et de l’habitat de deux espèces de requins côtiers sur la côte ouest de La Réunion) destiné à marquer les requins pour mieux gérer les risques. Le programme, qui a coûté environ 800 000 euros financés par l’État et la Région, est toujours en cours et devrait être accéléré. Des balises acoustiques ont été installées dans le ventre d’une vingtaine de requins tigres et bouledogues, brièvement capturés par les chercheurs de l'IRD (Institut de recherche pour le développement), qui devrait en équiper 80 au total. Les autorités espèrent que ces recherches scientifiques permettront de cerner les habitudes des squales avant d’envisager toute solution hâtive.
"Il y a eu un développement très important des activités nautiques dans un contexte où les prédateurs étaient absents. Mais la population de requins bouledogues se reconstitue, ce qui est une bonne chose pour l’écosystème", explique Lamya Essemlali, présidente de la branche française de l’ONG Sea Shepherd, qui défend les requins. Elle considère qu'il faut accepter de partager la mer avec les squales et prendre les précautions nécessaires, tout comme ce fut le cas lors de la réintroduction du loup dans les massifs montagneux en France métropolitaine.
Des chercheurs d’Afrique du Sud ont mis au point un "shark shield", bouclier anti-requins, qui exploite l'hypersensibilité des squales aux champs magnétiques. Un boîtier dont le prix avoisine les 500 euros que les surfeurs peuvent accrocher à leur mollet ou sur leur planche. Le dispositif peut aussi être installé régulièrement au large des plages pour dissuader les requins d’approcher du rivage. L’avantage de ce système est qu'il ne fait aucun mal au requin et n’a aucun effet néfaste sur l’environnement. Une solution préférée aux filets, très destructeurs pour l'environnement : les requins s'y prennent, tout comme les dauphins, raies et tortues.
Des causes multiples
Le 27 juillet, à l’Assemblée nationale, le député-maire de Saint-Leu, s’est dit "convaincu" que la réserve marine, poissonneuse, était responsable de la présence des requins sur le littoral de l’île de La Réunion. Une explication balayée par les associations écologistes, qui rappellent que la réserve n’a connu aucune augmentation de sa biomasse jusqu’à présent. Les pêcheurs, quant à eux, ont appelé à réduire le périmètre ou à déplacer la zone protégée pour pouvoir chasser les requins dans des eaux jusqu’alors inviolables. Pour Sea Shepherd France, c’est plutôt du côté des déchets issus des égouts et de l’industrie, de bateaux de pêche ou de fermes aquacoles environnantes qu’il faut regarder. Mais aussi s’intéresser à la surpêche au large qui entraîne une raréfaction de nourriture pour les squales.
Et pour tenter de limiter la prise de risques pour les hommes, Christophe Mattei, chercheur amateur installé à la Réunion depuis 1969, a créé une application mobile d’"aide à la décision" à destination des surfeurs : "Réduire le risque requin 2.0". Celle-ci permet d'évaluer le risque de croiser un requin potentiellement "tueur" selon la plage, l’heure et la météo du jour. Un logiciel créé en 2011 qu’il souhaiterait rendre encore plus performante avec le soutien de scientifiques. Christophe Mattei, membre d’un groupe de surfeurs, préconise l’installation de champs électriques répulsifs (voir encadré), de vigies (voire de drones) et de tableaux d’information couplés à des SMS sur les plages, comme en Australie, pour informer en temps réel de la présence de requins et tenter d’éviter les drames.