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"The Dark Knight Rises", magistral épilogue de la trilogie Batman

Attendu sur les écrans français mercredi, "The Dark Knight Rises" clôt de manière spectaculaire la trilogie Batman signée Christopher Nolan, dont la grande prouesse est d’avoir su faire de cette série de blockbusters une œuvre d'auteur.

Le tout-Hollywood attendait les chiffres. Vendredi 20 juillet, jour de sa sortie aux États-Unis, le troisième et dernier Batman de l’ère Christopher Nolan devait, à en croire les spécialistes, être le meilleur démarrage de l’histoire du cinéma américain.

La Warner Bros avait d'ailleurs toutes les raisons d’y croire. Tout d’abord parce que le précédent volet de la trilogie, le très noir "The Dark Knight", avait battu des records au box-office lors de sa sortie en juillet 2008. Ensuite parce que cet épilogue, promesse de surprises et de rebondissements, bénéficie d’un casting quatre étoiles : à Christian "Batman" Bale sont venus se joindre Anne Hathaway en Catwoman, Marion Cotillard en philanthrope écolo et Tom Hardy en Bane, emblématique méchant de la mythologie batmanienne. Autant dire qu’ils étaient nombreux à se languir des dernières aventures, estampillées Christopher Nolan, de l’homme-chauve-souris. La fête promettait d’être belle.

C’était avant qu’un jeune homme de 24 ans n’ouvre le feu, dans la nuit de jeudi à vendredi, dans une salle de cinéma bondée de la banlieue de Denver (Colorado), où était projeté le film en avant-première. Et ne déplace ce qui devait rester de l’ordre de l’"entertainment" sur le terrain politique. À quatre mois de la présidentielle américaine, cette énième fusillade meurtrière est, en effet, venue relancer l’éternel débat sur le port d’armes aux États-Unis. L’Amérique face à ses vieux démons.

"Une tempête approche"

Un cruel coup du destin pour "The Dark Knight Rises", ambitieux et magistral film de super-héros (2 heures 45) qui capte à lui seul les nouveaux traumatismes d’une nation de plus en plus obsédée par sa vulnérabilité. Les attentats du 11-Septembre sont passés par là, qui ont définitivement changé la perception américaine du monde. Le mal autrefois concentré en un bloc, communiste, peut désormais surgir de n’importe où, n’importe quand. "Une tempête approche", murmure Catwoman à l’oreille du milliardaire Bruce Wayne, alias Batman. Et elle s’appelle Bane.

Ancien seigneur de guerre ultra-violent dont le masque à oxygène altère la voix à la façon d’un Dark Vador, le "super vilain" du troisième opus de Batman nourrit le sombre projet de détruire Gotham City, double imaginaire de New York, obligeant ainsi le "chevalier noir" à revenir aux affaires après une période de retraite forcée. L’objectif de Bane : transformer un réacteur à fusion censé développer des énergies renouvelables en arme de destruction massive. Toute ressemblance avec le dossier du nucléaire iranien est forcément fortuite…

Le machiavélique plan est aussi spectaculaire que l’est le cinéma de Christopher Nolan. Explosions en série, destruction des ponts reliant la ville au reste du monde, anéantissement d’un stade de football américain, libération des plus dangereux prisonniers, armée de mercenaires déferlant dans les rues… L’impressionnante prise de Gotham par le mégalomaniaque Bane, comme filmée d’un hélicoptère tenu malgré lui à distance, restera l’une des plus terrifiantes séquences d’attaque terroriste qu’un cinéaste n’ait jamais porté à l’écran.

"Occupy Gotham"

Miroir de l’Amérique post-11-Septembre, "The Dark Knight Rises" s’inscrit également dans l’onde de choc née d’une toute autre crise : celle qui ébranle le système financier depuis la chute de la banque Lehman Brothers en 2008.

Ce n’est pas un hasard si le terrible Bane, épaulé par une colonne de soudards jusqu’alors tapis dans les égouts de la ville, fait également le coup de feu à la Bourse, où le moindre soubresaut peut semer le chaos partout dans le monde. "Il n’y a rien à voler à la Bourse !", lance un intrépide trader. "Alors qu’est-ce que vous venez faire ici tous les jours ?", rétorque le nouvel homme fort de Gotham. Réponse cinglante qui résonne comme un slogan du mouvement Occupy Wall Street.

Mais qu’on ne s’y méprenne pas : l’épilogue Batman, loin de toute démagogie, ne désigne aucun ennemi. Tout juste s’emploie-t-il à pointer l’inquiétante précarité d’un système sur lequel semble reposer l’économie de la planète entière. Avec "The Dark Knight Rises", Christopher Nolan réussit là où les prophéties de fin du monde du laborieux et bavard "Cosmopolis" de David Cronenberg avaient échoué. En filmant une ville à feu et à sang touchée au cœur de ses institutions, le cinéaste anglo-américain ne prédit pas le déclin de l’Amérique mais met en scène de manière efficace la fin du sentiment de sa toute puissance.

Blockbusters d’auteur

Moment de doute auquel Batman lui-même ne peut se soustraire, lui qui, à force de contrecarrer de bien funestes desseins, en vient invariablement à remettre en cause le sens de son interminable combat. Et sa place dans la société. Qu’est-ce qu’un super-héros qui, au final, ne croit plus en sa cause ? Un citoyen parmi d’autres. Joli prouesse que celle de Nolan d’avoir conclu sa trilogie Batman en montrant davantage Bruce Wayne dans son costume trois-pièces que dans celui du justicier de la nuit.

Moins noir et moins complexe que son prédécesseur, "The Dark Knight Rises" pêche parfois dans la "psychologisation" excessive de ses protagonistes. Paradoxalement, Bane perd de son épaisseur à mesure que l’on nous dévoile son passé. Dans le volet précédent, l’incroyable force du personnage du Joker résidait justement dans son absence de biographie, ou plutôt dans sa capacité à s’en inventer une nouvelle à chacune de ses redoutables apparitions. Il incarnait alors le mal absolu, injustifiable, indéfendable, insaisissable.

Magnifiquement interprété par le défunt Heath Ledger, le clown sadique à l’éternel sourire constitue la plus grande réussite d’une impressionnante trilogie qui a su rendre aux grosses productions hollywoodiennes ses lettres de noblesse. Un quasi sans-faute qui vaut d’ores et déjà à Christopher Nolan le droit de figurer au rang des plus grands réalisateurs du cinéma américain.