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Moncef Marzouki, un président raillé par les Tunisiens de France

Alors que Moncef Marzouki conclut sa première visite officielle en France, de nombreux Tunisiens de l'Hexagone moquent la venue de ce président qu’ils considèrent comme "un pantin" sans charisme et à la merci des islamistes.

Ils l’affublent de surnoms peu flatteurs, le considèrent comme un "mythomane", un "populiste", pis, un "pantin". À l’occasion de la première visite du chef de l’État Moncef Marzouki en France - durant laquelle il a déclaré à l’envi vouloir "refonder les liens" entre Tunis et Paris -, les Tunisiens de France n’ont pas vraiment accueilli à bras ouverts celui qui entend incarner la Tunisie post-révolutionnaire.

C’est même tout le contraire. Pour nombre de Tunisiens, c’est avant tout "l’incompétence notoire" de ce militant des droits de l’Homme, longtemps persécuté sous le régime de Ben Ali, qui est en cause. "Il avait dit qu’il veillerait aux objectifs de la révolution, qu’il changerait les choses en matière de libertés, de droits de l’Homme", explique Sami Ben Abdallah, célèbre blogueur de 36 ans qui vit en France depuis une dizaine d’années. Dans les actes pourtant, il n’y a que "gesticulation politique", accuse le jeune homme. "Il n’a rien fait de concret. Le chômage augmente, les conflits sociaux se multiplient. Alors comme une grande majorité de Tunisiens, j’ai peu de considération pour lui", ajoute-t-il.

Il faut dire que Moncef Marzouki ne jouit, dans les faits, que de peu de prérogatives réelles en tant que chef de l’État (voir caricature ci-contre). Son rôle est essentiellement consultatif. Il est, de plus, un président "de passage", dont le mandat prendra fin à la promulgation d’une nouvelle Constitution. "Il nous fait croire qu’il peut changer les choses, qu’il a du pouvoir. Mais ce n’est pas vrai. La présidence n’est en aucun cas synonyme de pouvoir en Tunisie", ajoute le blogueur.

Marzouki, le "tartour" d’Ennahda

Sur le terrain, en effet, c’est bien le parti islamiste Ennahda - majoritaire à l’Assemblée bien qu'en coalition avec deux formations de centre-gauche, le Congrès pour la République et Ettakatol -, qui concentre les pouvoirs. "Marzouki n’est rien d’autre que leur agent de com’", s’amuse Safwene Grira, juriste parisien et blogueur d’une trentaine d’années. Il estime que le président tunisien est un "tartour" (littéralement "un pantin") qui pêche par orgueil alors qu’il ne peut prendre aucune initiative seul. "Il s’agite beaucoup. Mais quand il faut prendre des décisions, les islamistes se fichent de lui comme ce fut le cas pour l’extradition [le 24 juin, ndlr] de Bagdadi Mahmoudi [l’ancien Premier ministre libyen, ndlr].Ils ne l’ont pas informé et l’ont extradé !", explique-t-il. Humiliation suprême, le président Marzouki avait, de l'aveu même de l’un de ses conseillers, non seulement appris la nouvelle par la presse mais il avait également affirmé début juin son "opposition de principe" à cette extradition.

Pour Mohammed Smida, ancien président de l’association des Tunisiens de France à Paris, l’impopularité du président, pourtant considéré comme un érudit, s’explique également par les relations ambiguës qu’il entretient avec Ennahda. "Il se définit comme laïc et droit de l’hommiste et s’allie avec les islamistes. Même si je respecte la fonction présidentielle, j’ai du mal à comprendre sa stratégie", explique-t-il. En brouillant les données sur son identité politique, il véhicule l'image d’un homme politique carriériste au double discours. "Les Tunisiens ont besoin de savoir qu’il y a des lignes rouges à ne jamais franchir, comme celle du respect de la liberté d’expression".

Un avis partagé par Leïla Gafsi*, une Tunisienne résidant à Paris depuis 2002. "Contrairement à ce qu’il avait promis, Marzouki ne fait pas grand-chose pour défendre les droits des femmes lorsqu’elles sont menacées par les intégristes. Il n’a rien fait non plus lorsque, sous l’impulsion des salafistes, la censure a repris en Tunisie. Nous, d’ici, on ne peut rien faire. Alors on se sert de l’ironie pour mettre en lumière sa tartuferie."

Les maladresses du président

Un persiflage 2.0 dans lequel les Tunisiens - à grand renfort d’humour et de caricatures - sont passés maîtres. Sur les réseaux sociaux, les internautes attaquent un homme "fantasque, un peu illuminé", selon les qualificatifs employés par Leïla Gafsi. "Il est un peu ridicule aussi lorsqu’il s’invente en permanence un CV de dissident de la première heure", ajoute-t-elle. Sur la Toile, les exemples raillant cette personnalité "imprévisible" fleurissent.

"Lors de la conférence des Amis de la Syrie [à Tunis en février, ndlr], il a appelé à la démission du président Bachar al-Assad et déclaré que la Russie serait prête à l’accepter. Moscou n’a pas tardé à le rappeler à l’ordre, l’incitant à s’occuper de ses affaires", raconte, un peu attéré, Safwene Grira. Et de continuer : "Un jour, alors qu’il était interviewé par un journaliste dans le palais présidentiel, il s’est brusquement arrêté et a solennellement salué un des drapeaux tunisiens qui flottaient au-dessus de sa tête. C’était un peu grotesque (voir vidéo ci-dessus).

" Depuis, les Tunisiens s’amusent de l’anecdote. "Au café on entend souvent : ‘Vous savez pourquoi Marzouki ne fait rien pour le pays ? Parce qu’il passe ses journées à saluer les centaines de drapeaux qui ornent son palais'".

"Je me réjouis d’être caricaturé"

Le président raillé n’échappe pas non plus à l’épithète peu élogieuse de "mythomane". "Il a exigé l’extradition de Ben Ali [réfugié en Arabie saoudite, ndlr] puis y a renoncé. Il s’est dit peu intéressé par la présidence de la République et en fait, il s’y accroche maladivement (voir vidéo ci-dessus). Il ne fait que se contredire", estime le blogueur Sami Ben Abdallah.

Pour toute réponse, le président élu a fait savoir à ses détracteurs que son indifférence à l’égard de ces moqueries illustrait de la meilleure façon qui soit son grand respect envers la liberté d’expression, comme il l'a récemment affirmé dans un entretien avec l’AFP : "Jamais de toute l’histoire de la Tunisie, la presse n’a été aussi libre, le gouvernement est en permanence vilipendé. Ces critiques sont la preuve que la Tunisie est un vrai pays démocratique […]. Ces insultes sont un signe de bonne santé […]. Même si les caricatures sont parfois injustes […], je me réjouis d’être caricaturé. Cela montre que nous ne sommes plus en dictature".

*Les nom et prénom ont été changés.