L’UE est touchée par la dérive anti-démocratique de certains pays de l’ex-bloc communiste. La Roumanie est ainsi accusée de porter atteinte à l’État de droit. Décryptage avec Catherine Durandin, professeur à l'Inalco.
Il y a deux ans, le conservateur Viktor Orban arrivait à la tête du gouvernement hongrois et s'empressait de rédiger une nouvelle Constitution jugée antidémocratique par la Commission européenne. Aujourd’hui, c’est la Roumanie, dont le président a été destitué, qui suscite l’inquiétude de l’Union européenne (UE).
Face à ces dérives, l’Europe a rappelé Bucarest à l'ordre. Cinq ans après son entrée dans l’UE, la Roumanie est menacée d’une suspension de droits et de suppression de subventions par la Commission européenne. Dans un rapport publié mercredi, la Commission européenne critique les atteintes "systématiques" du gouvernement roumain contre l'État de droit et le somme d'y remédier rapidement. Elle a dans le même temps estimé que la Bulgarie, le pays voisin, a encore des efforts à faire en matière de lutte contre la corruption et d'indépendance des juges.
Pourquoi est-ce si difficile pour l’Europe d’imposer les règles du jeu démocratique à l’Est ? Entretien avec Catherine Durandin, professeur en langue et civilisation roumaines à l'Inalco.
FRANCE 24 : Sous couvert de légalité, le président Basescu a été destitué de manière expéditive en Roumanie. Avons-nous affaire à un coup d’État déguisé ?
Catherine Durandin : Il ne s’agit pas d’un coup d’État car la destitution du président Traian Basescu doit être entérinée par le référendum du 29 juillet. La Cour constitutionnelle, avec l’aide de l’Union européenne qui a mis de très lourdes pressions, a réussi à imposer le quorum de 50 % des électeurs, accepté à contre-cœur mercredi par le président intérimaire, le libéral Crin Antonescu.
Néanmoins, la conquête du pouvoir s'est faite en dehors de toute règle démocratique. La coalition gouvernementale, qui est par ailleurs une union de frères ennemis socialistes et libéraux, piétine les institutions pour que rien n’entrave sa conquête du pouvoir. Le directeur des Archives nationales a été limogé : en Roumanie, cela équivaut à un contrôle de la mémoire et à une protection des "camarades" communistes. Le président du Sénat et le président de la Chambre des députés ont été renvoyés. Les membres de la Cour constitutionnelle ont été soumis à des pressions. Plusieurs membres sont en fin de mandat et le Parlement veut les remplacer par des hommes à sa solde.
Il semble difficile aux instances européennes d’imposer les règles du jeu démocratique à l’Est. Pourquoi ?
C.D. : Les membres de la Commission ont réagi pour conserver un minimum d’éthique. Le 12 juillet, ils ont fait passer une liste de recommandations que Victor Ponta, l’actuel Premier ministre, et sa majorité doivent appliquer pour sortir de l’opprobre. Mais l’Europe a des moyens limités. Elle manque elle-même d’unité et véhicule deux visions du pouvoir.
Pensez-vous qu’il existe un clivage Est-Ouest en terme de culture politique ?
C. D. : Tout à fait. Il y a un fossé de culture politique entre les pays de l’ancien bloc communiste et l’Ouest. Après la chute du communisme, j’ai cru qu’un processus de démocratisation était possible. Mais on ne partage pas la même culture et tous les moyens sont bons pour s’accaparer le pouvoir en Roumanie. La peur est tombée mais le pouvoir est toujours instrumentalisé. Il n’y a pas de notion de "contrat démocratique", ni d’intégration du concept d'État de droit. Si une loi ne plaît pas, on la change. La loi est un instrument comme les autres.
Les dirigeants roumains semblent avoir du mal à concilier règles européennes et impératifs nationaux. Dans les années 1990, la démocratisation de la Roumanie s’était pourtant accompagnée d’un enthousiasme vis-à-vis de l’Union européenne. Est-ce la fin de cet âge d’or ?
C. D. : Dans les années 1990, la Roumanie s’est battue pour intégrer l’Union européenne qui était synonyme de légitimité, liberté, prospérité, etc. Mais un tournant s’est opéré en 2010, au moment de la crise. L’austérité imposée par Bruxelles et le Fonds monétaire international (FMI) a été perçue comme contraignante et punitive.
Basescu, qui a été très populaire en 2005 et 2006, notamment pour avoir joué avec habileté le partenariat avec l’Occident et les États-Unis, est devenu très impopulaire au moment de la crise. En 2009-2010, il a été brutal et arrogant, imposant l’austérité et la ligne du FMI sans pédagogie. Les salaires ont alors baissé de 25 %, les retraites ont dégringolé. La population n’a pas compris et ces mesures ont été très difficiles à accepter, mettant fin de manière abrupte à une période d’euphorie.