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Un prix de l'Unesco financé par le despote de Guinée équatoriale fait scandale

L'institution des Nations unies pour la promotion de la culture remet ce mardi le prix scientifique "Unesco-Guinée équatoriale", entièrement financé par le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema. L’ONG Sherpa dénonce un "prix de la honte".

Financer un prix récompensant les initiatives en faveur des améliorations des conditions de vie lorsqu’on se nomme Teodoro Obiang Nguema, que l’on est suspecté de corruption à grande échelle et que l’on dirige d’une main de fer l’un des pays les plus pauvres de la planète… L’initiative paraît inconcevable. Pis, grotesque. Et pourtant, ce mardi 17 juillet, sous la supervision de la très respectable institution de l’Unesco, le prix "Unesco-Guinée équatoriale pour la recherche en sciences de la vie", d’un montant de quelque 3 millions d’euros entièrement financé par le président équato-guinéen, va être remis à trois scientifiques, un Égyptien, un Sud-Africain et une Mexicaine.

Une véritable "honte" pour l’ONG Sherpa, qui protège "les populations victimes de crimes économiques". Sur la forme déjà, Rachel Leenhardt, sa chargée de communication, manque de s’étouffer en se demandant comment "l’Unesco peut en toute conscience s’associer à un prix financé par un président corrompu dont le seul but est d’améliorer son image à l’étranger ?". La Guinée équatoriale reste en effet un pays pauvre où l’espérance de vie n’excède pas 60 ans et où environ 12 % des enfants meurent avant l’âge de 5 ans, selon l’Unicef.

Chronologie de l'affaire des biens mal acquis
2007 : Sherpa et deux autres associations portent plainte devant le parquet de Paris contre les familles dirigeantes de l’Angola, du Burkina Faso, du Congo-Brazzaville, de la Guinée équatoriale et du Gabon pour la possession de patrimoines immobiliers sur le sol français. L’affaire est classée sans suite en novembre.

2008 : En juillet, Transparency International et Sherpa déposent une seconde plainte, classée sans suite en septembre. Elles renouvellent leur plainte en décembre pour détournement de fonds, blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance.

2009 : En avril, le parquet de Paris bloque la procédure judiciaire.

2010 : La Cour de cassation valide la plainte et une information judiciaire est ouverte. Les juges d’instruction Le Loire et Grouman sont désignés.

2011 : Saisie des voitures de collection de Teodorin Nguema Obiang.

2012 : Perquisition à l’hôtel particulier de la famille Obiang, avenue Foch, à Paris, en février.

2012 : Mandat d’arrêt contre Teodorin Nguema Obiang lancé le 13 juillet.

Un mélange des genres sur lequel l’Unesco semble avoir fermé les yeux, regrette la militante de Sherpa. "Cette alliance entre l'ONU et Obiang est définitivement contre-nature, contraire à la mission première de l’Unesco qui est de lutter contre la corruption et contre la violation des droits de l’Homme".

"Pas de distinction entre fonds publics et fonds privés"

L’ONG cherche en outre à prouver que les fonds utilisés pour le versement de cette coquette somme de 3 millions d’euros proviennent en réalité des caisses de l’État équato-guinéen, contrairement aux allégations du président Obiang qui affirme que l’argent provient de sa fondation privée, la Fondation Obiang.

Mais pour Rachel Leenhardt, "tout l’argent utilisé pour financer ce prix provient du Trésor public du pays, personne n’est dupe. Le président de Guinée-équatoriale ne fait pas vraiment de distinction claire entre fonds privés et fonds publics".

Sous la pression d'intellectuels et de nombreux pays occidentaux, la remise de ce prix - créé en 2008 - était suspendue depuis 2010. Loin de baisser les bras et refusant de perdre la face, le président Obiang avait décidé - pour tenter de noyer le poisson - de changer le nom de la récompense. Exit le "Prix Unesco-Obiang", bienvenue, en mars 2012, au "Prix Unesco-Guinée équatoriale". Une modification lexicale qui n'a pas empêché la France, les États-Unis, l’Espagne et le Royaume-Uni de boycotter cette remise de prix.

Même Irina Bokova, la directrice générale de l’institution, s'est opposée à la tenue de la cérémonie. Elle a cependant été tenue de l'organiser par un vote intervenu en mars au sein du Conseil exécutif de l'Unesco.

L’Unesco embarrassée par les "biens mal acquis"

"Le président a bénéficié du soutien du groupe des 14 pays africains représentés au Conseil exécutif de l’organisation [qui compte 58 membres]. Je pense qu’après le changement de nom du prix, de nombreux autres pays ont voté en faveur de son maintien, soit par lassitude soit parce qu’ils ont cru à la main tendue du président équato-guinéen", explique Rachel Leenhardt.

Cette polémique intervient au plus mauvais moment pour l'Unesco, à l'heure où le clan Obiango est éclaboussé de plein fouet dans l'affaire dite des "biens mal acquis". La justice française soupçonne en effet le chef de l'État équato-guinéen d'avoir acheté plusieurs propriétés grâce au détournement de l'argent public de son pays.  Depuis le 13 juillet, son fils, Teodorin Nguema Obiang, est lui aussi dans le viseur de la justice. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour détournement de fonds et blanchiment d'argent dans le même dossier.

Contactée par France 24.com, l’Unesco n’a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.