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Au Soudan, le régime réprime durement les manifestations

, envoyée spéciale à Khartoum – L'envoyée spéciale de FRANCE 24 Caroline Dumay s'est rendue à Khartoum, où les autorités soudanaises répriment violemment un mouvement de contestation contre la vie chère et le régime du président Omar el-Béchir.

"J’avais une très belle vie en Amérique. J'étais inscrit dans l’une des meilleures universités du pays, j’avais une jolie maison et même une voiture. Mais quand je pensais au Soudan, ça me faisait mal. C’est pour cela que je suis rentré." Rudwan Dawod, étudiant soudanais résidant aux États-Unis, a décidé de rentrer à Khartoum pour "aider" ses compatriotes. Moins de deux semaines après avoir foulé le sol du Soudan, il est arrêté et inculpé pour "terrorisme". Il risque la peine de mort : pour écraser dans l’œuf le mouvement contestataire qui ne fait que grandir depuis le 16 juin, le régime d’Omar el-Béchir répond en effet à la colère de la rue par une forte répression.

Dans les rangs de Girifna, le mouvement étudiant auquel appartient Rudwan et dont le nom signifie "ras-le-bol", c’est la consternation. "On nous dit qu’il était venu poser des bombes ! Comment peut-on l’inculper sans aucune preuve ?", s’insurge Ibrahim Babiker, porte-parole du mouvement. Dans un blog du "New York Times", John Zogby, président de l’ONG Sudan Sunrise, décrit Rudwan comme un amoureux de Ghandi et un fervent partisan de la non-violence.

Viols et torture

Rudwan pourtant représente tout ce que le régime d’Omar el-Béchir déteste. Il est d’abord marié à une enseignante américaine, Nancy Williams, qu’il a rencontré au Soudan. Il a aussi travaillé dans des zones du Soudan du Sud opposées au régime de Khartoum. Enfin, il est originaire du Darfour, une région tristement célèbre pour les massacres qui s'y sont déroulés et qui ont valu au président Omar el-Béchir d'être visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.

L'étudiant soudanais a été arrêté et inculpé avec une dizaine de ses camarades : ses amis d'enfance Namarig et Ahmed, ou encore les militantes de la première heure Widad Darweesh et Mai Shutta. Tous s’étaient donnés à fond pour recruter, mobiliser et coordonner les mouvements étudiants de ces dernières semaines. Ils en connaissaient les risques. "Vous savez ce que les services de sécurité font aux femmes activistes ? Ils les violent pour qu’elles ne reviennent plus", confiait Mai Shutta quelques heures avant son arrestation.

Plus de 2 000 personnes ont été arrêtées depuis la mi-juin, selon des organisations de défense des droits de l'Homme. Dans un communiqué conjoint publié le 11 juillet, Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent les tortures systématiques infligées aux détenus, notamment par les agents du Service national de sécurité et de renseignement (NISS). Rudwan a passé 5 jours entre leurs mains. Il a été tellement torturé qu’il ne pouvait ni marcher, ni parler quand on l’a présenté le 8 juillet devant un juge à Khartoum.

"Nous ferons justice nous-mêmes"

"C’est la révolution et le régime en a peur", assure Myriam el-Sadiq el-Mahdi, fille de l’imam Sadiq el-Mahdi, ex-Premier ministre et actuel patron du parti nationaliste UMMA. Le 4 juillet dernier, elle signait avec son père et 17 autres organisations (dont le Congrès populaire de l’islamiste Hassan el-Tourabi) une "Charte pour une alternative démocratique" visant à conduire une "lutte pacifique sous toutes ses formes afin de renverser le régime".

S’il fait mine d’ouvrir la porte à l’opposition, le président Omar el-Béchir se replie sur une économie de guerre. Privé des trois quarts de ses revenus en pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud, le régime de Khartoum compte bien mettre la main sur les nombreux gisements qui jalonnent la frontière entre les deux pays. Les discussions qui se tiennent à Addis Abeba, en Éthiopie, avec les autorités du Sud n’avancent guère. Au-delà des revenus du pétrole que les deux pays n’arrivent pas à se partager, il faut aussi régler les questions de la délimitation des frontières, du code de la nationalité ou encore du partage des eaux du Nil. Entre temps, plus des deux tiers des dépenses publiques de Khartoum sont désormais consacrées a l’armée.

À l’université de Khartoum, où tout a commencé, on ne désarme pas. "Ils ont enlevé Mahmat. Mais ils ne pourront pas enlever tout le monde. Et s’ils ne nous rendent pas nos fils, nous ferons justice nous-mêmes", harangue la mère de Mahmat Salah, étudiant disparu depuis le 20 juin. La jeunesse ne veut pas des anciens Premiers ministres qui sont dans les rangs de l’opposition, mais l’union de la carpe et du lapin pourrait faire tomber le regime. Rudwan Dawod est désormais sur toutes les affiches des contestataires. Son procès est prévu le 23 juillet.