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Bras de fer avec l'armée : Mohamed Morsi rentre dans le rang

Après avoir défié l’armée et la justice, le président égyptien Mohamed Morsi joue désormais la carte de l’apaisement. Mais le bras de fer autour de la dissolution de l'Assemblée du peuple a suscité des interrogations sur l’équilibre des pouvoirs.

Après avoir ouvertement défié l’armée et la justice, le président égyptien Mohamed Morsi rentre dans le rang. Dix jours à peine après son investiture, celui-ci avait ordonné par décret le rétablissement de l'Assemblée du peuple, dominée par les islamistes, dissoute le 15 juin dernier par le pouvoir militaire et déclarée illégale par la Haute cour constitutionnelle (HCC). Cette décision, prise sur fond de lutte de pouvoir entre les Frères musulmans et le Conseil suprême des forces armées (CSFA), avait provoqué une grave crise institutionnelle au sommet de l’État.

Mercredi, le président issu des rangs de la confrérie s'est dit finalement "respectueux des décisions des juges égyptiens et très désireux (...) d'éviter la confrontation" à la suite de la suspension par la HCC du décret convoquant le Parlement. Mohamed Morsi a, par ailleurs, affirmé qu'il chercherait le dialogue avec les différentes forces politiques et les autorités judiciaires pour tenter de résoudre cette question.
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"Nous sommes tous dans le même bateau"
Bras de fer avec l'armée : Mohamed Morsi rentre dans le rang
Conflit d’intérêts
Si le ton est donc désormais à l’apaisement en Égypte, cette passe d’armes politico-judiciaire a suscité de nombreuses interrogations, notamment sur l’équilibre des pouvoirs dans le pays et sur la volonté réelle de l’armée de céder la place aux civils, fussent-ils islamistes. Au pouvoir depuis la chute du régime de Hosni Moubarak, le CSFA s’est attribué le pouvoir législatif après la dissolution de l’Assemblée du peuple.
"Les militaires qui dirigent le pays depuis 60 ans acceptent difficilement que d’autres forces s’imposent sur la scène politique, mais d’un autre côté, ils sont conscients qu’ils ne peuvent résoudre à eux seuls les maux économiques et sociaux du pays", explique sur l’antenne de FRANCE 24 Marc Lavergne, spécialiste de l'Égypte et directeur de recherche au CNRS. Et de poursuivre : "Les deux forces majeures que sont les militaires et la confrérie ont tout intérêt à s’entendre car le débat entre elles n’est pas idéologique. Il s’agit, en effet, d’un conflit d’intérêts : les premiers ont accès aux ressources du pays, la seconde veut résoudre les problèmes du pays en s’appuyant sur sa légitimité".
Partie de poker
D’aucuns analysent l’initiative de Mohamed Morsi comme une volonté de tester ses propres pouvoirs et les lignes rouges fixées par l’armée. "Le président Morsi, dont on a dit qu’il avait les mains liées et qu’il ne pouvait rien faire, s’est livré à une partie de poker afin de démontrer qu’il existait", explique à FRANCE 24 Robert Solé, écrivain spécialiste de l’Égypte et auteur de "Le Pharaon renversé, 18 jours qui ont changé l’Égypte". Mais, face à la levée de boucliers de l’armée, du pouvoir judiciaire et des partis libéraux qui ne veulent ni d’un État islamique ni d’un régime militaire, il a reculé.
"La confrérie sait qu’elle ne peut pas faire tout ce qu’elle veut en Égypte, car elle doit composer avec une société pluraliste et évidemment avec l’armée, ce qui rend le pays de plus en plus comparable à la Turquie de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 2000, c'est-à-dire un État avec des institutions démocratiques et une armée qui tient littéralement cette démocratie en laisse", juge Bernard Guetta, journaliste spécialiste de géopolitique internationale sur France Inter et auteur de "L'an I des révolutions arabes : décembre 2010-janvier 2012".
"Le pays est en train d’apprendre la démocratie en marchant"
Un avis que partage Marc Lavergne. "Les Frères musulmans me semblent pragmatiques, car ils prennent en compte, dans leur propre intérêt, la réalité de l’Égypte d’aujourd’hui à l’instar des islamistes en Turquie", résume-t-il.
Par conséquent, l’Égypte ne pourra être gouvernée que par le compromis entre les différentes forces du pays. "Toutes les influences se sont relativisées en Égypte, celle des militaires après la chute de Moubarak et celle des Frères musulmans qui ont perdu un quart de leur électorat entre les législatives et la présidentielle", note de son côté Bernard Guetta. Et de conclure : "Mais aucune de ces influences n’est annulée, l’Égypte est entrée dans une phase de jeu politique où chacun doit tenir compte de l’autre. Quand l'une s’affaiblit, l’autre essaie de se renforcer. En somme, le pays est en train d’apprendre la démocratie en marchant", conclut le journaliste.