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Afghanistan : jusqu'où ira Donald Trump pour récupérer la base aérienne de Bagram ?
Le président américain Donald Trump a affirmé, jeudi, son intention de remettre la main sur la base aérienne de Bagram en Afghanistan. Les troupes américaines l’ont quittée en 2021, mais le chef d'Etat affirme que cette base permettrait de mieux surveiller la Chine et combattre le terrorisme. Tout en gardant un œil sur les terres rares afghanes ?
Un défilé militaire des Taliban en 2024 sur la base militaire de Bagram pour fêter les trois ans du départ des forces armées nord-américaine. Donald Trump a fait savoir qu'il aimerait récupérer ce site militaire stratégique. © AFP - Ahmad Sahel Arman

Donald Trump a trouvé un nouvel endroit à l’étranger sur lequel il aimerait mettre la main. En l’occurrence, il s’agirait de cette fois-ci de reprendre le contrôle d’un site militaire stratégique en Afghanistan : la base aérienne de Bagram. L’armée américaine l’avait quittée lors du retrait chaotique d’Afghanistan en juillet 2021.

"C’est l’une des plus grandes bases militaires au monde. Nous la leur [aux Taliban, NDLR] avons donnée pour rien. Nous essayons d’ailleurs de la récupérer", a confirmé la président américain lors d’une conférence de presse commune à Londres avec le Premier ministre britannique Keir Stramer, jeudi 18 septembre.

Une idée fixe de Donald Trump ?

Ce n’est pas la première fois que l’actuel locataire de la Maison Blanche exprime son intérêt pour l’aéroport militaire de Bagram, situé à un peu plus de 30 kilomètres au nord de Kaboul.

En février, le sujet avait été abordé lors de la toute première réunion du cabinet de Donald Trump. Le président avait alors critiqué son prédécesseur Joe Biden en soulignant qu’il n’aurait jamais abandonné l’aéroport militaire de Bagram, qui était la plus importante base américaine de la région.

Afghanistan : jusqu'où ira Donald Trump pour récupérer la base aérienne de Bagram ?
-- © Studio graphique France Médias Monde

Lors de son voyage officiel à  Londres, c’est la première fois que Donald Trump suggère que des négociations pourraient être en cours pour rendre aux Américains ce qui, d’après lui, appartiendrait aux Américains. "Nous espérons pouvoir la reprendre car ils [les Taliban] ont besoin de quelque chose de nous", a-t-il assuré lors de la conférence de presse, sans préciser de quoi les Afghans avaient besoin. Si la base aérienne de Bagram intéresse tant Donald Trump, "c’est officiellement parce qu’elle se trouve non loin de sites nucléaires chinois", souligne Philip Berry, spécialiste de l’Afghanistan et de la politique étrangère américaine dans cette région au King’s College de Londres.

Toujours plus de nucléaire au Xinjiang

"C’est à seulement une heure de l’endroit où les Chinois construisent leurs armes nucléaires", a même précisé le président américain. Il ne s’agit pas d’installations à une heure de route mais plutôt à portée d’avion dans ce laps de temps.

En effet, la Chine est soupçonnée d’avoir entrepris en 2024 "la plus ambitieuse modernisation de son arsenal nucléaire", ont estimé les services de renseignement américains dans un rapport publié en août 2024. Et pas n’importe où : le grand bond nucléaire en avant se déroule dans la province du Xinjiang, région frontalière avec l’Afghanistan.

Sauf que le Xinjiang recouvre environ un sixième du territoire chinois et s’étire de son extrémité est à l’ouest sur plus de 1500 km. Les sites où la Chine développe le plus son programme nucléaire – à proximité des villes de Yumen et Hami – se trouvent à plus de 1 000 km de la frontière afghane.

Depuis le départ des troupes américaines, les États-Unis n’ont plus aucune base dans cette région pour espionner les manœuvres de grand rival asiatique. "Cela représente un véritable déficit de renseignement humain. Les États-Unis le compensent en partie en s’adressant aux Européens qui, eux, ont conservé une présence physique sur place", affirme Oz Hassan, spécialiste de l’Afghanistan et de l’Asie Centrale à l’université de Warwick.

Certes, Washington peut aussi compter sur ses satellites pour garder un œil sur l’installation éventuelle de nouveaux silos à missiles par exemple. Mais, la base aérienne de Bagram représente aussi "une force de dissuasion car ce serait une manière de dire aux Chinois que l’armée américaine n’est pas loin et peut se projeter rapidement si besoin", estime Oz Hassan.

Piscines, restaurants et cinémas...

Tout au long de sa présence en Afghanistan – de 2001 à 2021 –, l’armée américaine a développé la base aérienne. Plus de cent avions de combat peuvent s’y garer, et elle dispose de l’une des plus longues pistes de décollage au monde (3 500 mètres de longueur), capable d’accueillir les plus importants avions militaires au monde.

Les Américains y ont aussi construit "des installations comme des piscines, des cinémas et des restaurants afin de faciliter la vie des plus de 10 000 militaires qui peuvent y être stationnés", explique Anchita Borthakur, spécialiste indienne de l’Afghanistan dans un rapport sur l’importance stratégique de cette base.

Ce serait aussi un parfait avant-poste pour garder un œil sur la lutte d’influence entre grandes puissances dans cette région. Depuis le retrait américain, "la Russie s’est rapprochée des Taliban et la Chine a été le premier pays a envoyé un ambassadeur à Kaboul après 2021, tout en lorgnant ouvertement sur les ressources naturelles du pays. Ce n’est pas pour rien qu’il est surnommé ‘l’Arabie saoudite des terres rares’", souligne Oz Hassan. Cet expert juge aussi que l’appât de ces richesses naturelles n’est pas étranger à l’intérêt répété de Donald Trump pour un retour américain sur la base de Bagram.

Washington aimerait par ailleurs avoir un point de chute en Afghanistan pour mieux contrer la menace terroriste représentée par des groupes comme al-Qaïda ou le groupe État islamique en Afghanistan (EI-K). "Les Taliban doivent, dans le cadre des accords de paix de Doha en 2021, coopérer avec Washington sur les questions de contre-terrorisme. Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé et les États-Unis aimeraient bien pouvoir physiquement lancer des opérations anti-terroristes depuis l’Afghanistan", explique Oz Hassan.

Le veto des Taliban

Pas si vite, ont réagi les maîtres actuels de Kaboul. Muhajer Farahi, vice-ministre de l'Information et de la Culture s’est montré lyrique pour réfuter l’idée d’éventuelles négociations citant un vers d’un poète pachtoune du XVIIe siècle suggérant que l’esprit des Américains s’était égaré.

"Il est très peu probable que les Taliban acceptent une quelconque présence militaire – officielle ou non – américaine à la base de Bagram", affirme Philipp Berry.

Le président américain assure cependant pouvoir y parvenir car les Taliban "veulent quelque chose". "Il est difficile de savoir ce qu’il entendait par là. Il est vrai que ce régime de facto aimerait une forme de reconnaissance plus officielle de Washington et, après leur prise de pouvoir, des milliards de dollars d’actifs de la Banque centrale d’Afghanistan ont été gelés par les États-Unis et d’autres pays", énumère Philipp Berry.

Mais cela pourrait-il suffire ? Les experts interrogés par France 24 n’y croient pas. "La légitimité des Taliban repose sur leur opposition aux États-Unis. Céder aux Américains la ruinerait. Si Washington veut revenir, il faudrait un énorme déploiement militaire et les Taliban ne laisseraient pas faire. Je ne pense pas que Donald Trump soit prêt à relancer la guerre", conclut Oz Hassan.