Critiquée pour avoir diffusé des extraits d'enregistrements audio des échanges entre Mohamed Merah et les policiers, TF1 invoque le "droit d’informer". De leur côté, les médias s'interrogent sur le choix de TF1.
Deux jours après la diffusion des enregistrements audio des échanges entre Mohamed Merah et la police, l’affaire fait encore grand bruit. Après avoir suscité la colère et l’indignation des familles des victimes, qui veulent éviter la diffusion sur Internet de ces bandes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a décidé de réagir. Le président de l'organe, Michel Boyon, s'est dit "profondément choqué" par la diffusion dimanche 8 juillet, dans l’émission "Sept à Huit" d’une partie des enregistrements réalisés les 21 et 22 mars entre les policiers et Mohamed Merah, enregistrements dans lesquels le "tueur au scooter" retranché dans son appartement toulousain explique d’une voix posée ses crimes et ses projets criminels à venir.
Le gendarme de l’audiovisuel, qui avait "contacté [le 8juillet, ndlr] les dirigeants des chaînes [de radio et de télévision, ndlr] pour les appeler à la responsabilité et leur déconseiller de rediffuser les extraits en question", doit auditionner ce mardi 10 juillet les dirigeants de TF1, de BFMTV et d'i-Télé qui n’ont pas respecté la directive. Dès le 9 juillet, des extraits des enregistrement ont circulé sur plusieurs sites Internet de partage vidéo tels que YouTube, malgré les efforts de TF1 pour éviter qu'ils ne se retrouvent sur la Toile. "S'il y a matière pour le CSA à intervenir, notamment par la voie de sanctions, nous le ferons, sans hésiter", a prévenu Michel Boyon. Les chaînes risquent une simple mise en garde ou une mise en demeure.
"Nous sommes des journalistes, notre travail, c'est d'informer"
Vivement critiquée, TF1 s’est défendue en affirmant, par la voix de sa directrice de l’information Catherine Nayl, que ce document contenait des "informations très importantes". "On comprend parfaitement le choc et la violence pour les familles des victimes d'entendre la voix de celui qui a assassiné un des leurs", a-t-elle expliqué. Cependant, selon elle, la diffusion a été faite d'une façon "absolument pas sensationnaliste". "Nous sommes des journalistes, notre travail, c'est d'informer", a-t-elle rappelé .
Car le débat est bien celui-ci : la chaîne de télévision TF1 a-t-elle eu raison de passer à l’antenne un tel document, en théorie mis sous scellé et auquel les familles des victimes - comme leurs avocats - n’ont encore jamais eu accès ? Nombreux sont les médias qui ont choisi de se poser la question dans leurs éditos du10 juillet. "Le droit absolu à l'information, brandi par les responsables de la chaîne, doit-il être considéré comme un droit ignorant de tous les autres?", s’interroge notamment Jacques Camus dans la "République du Centre".
"À l'évidence, pour les familles des victimes, la réponse est non. [...] Pour TF1, qui a pris cette décision, il est […] question du devoir d'informer", arbitre Dominique Quinio dans le quotidien catholique "La Croix", qui reste toutefois sceptique sur le fait que "la vérité, la justice et l'attention dues aux victimes aient progressé d'un pouce".
Sans demi-mesure, les journaux régionaux "Le Courrier Picard" et "l’Ardennais" jugent que "oui, TF1 a rempli son rôle". Même son de cloche dans le quotidien "L’Alsace" qui estime que la chaîne "a bien fait de diffuser cet enregistrement pour trois raisons" : tout d'abord ces dialogues "réduisent à néant une malodorante campagne de désinformation partie d'Algérie, où la famille de Merah prétend détenir la preuve qu'il était innocent et qu'il a été abattu pour qu'il ne puisse pas se défendre en mettant en cause les services secrets français", ensuite ils "en disent long sur ce qui peut se passer dans la tête d'un exalté de sa trempe" et enfin ils confirment "que le contre-espionnage français est passé à côté d'un danger public".
À qui profite la diffusion ?
"En vérité, jamais TF1 n'aurait dû être en possession du document audio", rappelle Jacques Camus dans "La République du Centre". "Cela résulte bel et bien d'une fuite gravement fautive d'autorités policières qui ont, elles aussi, manqué à l'éthique professionnelle", peut-on lire dans le journal régional. "La Croix" va plus loin en se demandant à qui profite cette diffusion : "Car il ne faut pas se leurrer : quelqu'un - et l'enquête ouverte par la police des polices a pour charge de le déterminer - les a remis entre les mains de journalistes".
Selon "le Républicain Lorrain", le ministère de l'Intérieur cherche l'origine de l'indiscrétion "au sein même de la maison", dont certains groupes ou services avaient été sévèrement mis en cause. Et de conclure : "Si Manuel Valls est déterminé à frapper de façon exemplaire, le premier flic de France n'est pas mécontent que l'affaire constitue un facteur d'accélération pour remettre de l'ordre dans les services concernés."