
La défection del Manaf Tlass (à droite), général de la Garde républicaine et ami intime de Bachar al-Assad, est un coup dur pour le président syrien ainsi que pour le premier cercle du pouvoir.
La défection sans précédent d’un cacique du régime est-elle le signe que le régime de Bachar al-Assad est en train de se fissurer ? Rien n’est moins sûr. Toutefois, celle du général Manaf Tlass, annoncée jeudi, est un coup dur personnel pour le président syrien et pour le premier cercle du pouvoir.
En effet, ce haut gradé sunnite de 50 ans était l’un des ses plus proches collaborateurs et un ami de longue date. Membre du comité central du Parti baas, au pouvoir en Syrie depuis 1963, Manaf Tlass était également aux commandes de la brigade 105, une unité d’élite de la Garde républicaine affectée à la défense de la capitale. Il est désormais le plus haut gradé à avoir rompu avec le régime en proie à un soulèvement populaire et à une insurrection armée, depuis seize mois.
Allié symbolique du régime
Plus qu’un ami intime, Bachar al-Assad perd surtout un allié symbolique, puisque Manaf Tlass était l'un des rares responsables parmi les proches du président alaouite à appartenir à la majorité sunnite. "La famille Tlass a été au cœur du régime depuis son instauration, elle était la clé de voûte de l’alliance entre alaouites et sunnites qui a pérennisé le régime depuis quatre décennies", explique sur son blog "Syria Comment", Joshua Landis, universitaire spécialiste du pays à l'Oklahoma University.
Et pour cause, Manaf est issu d’une famille sunnite très influente, voire peut-être la plus puissante de Syrie, originaire de la ville d’Al-Rastan, le foyer de plusieurs centaines de militaires et d’officiers sunnites souvent nommés par le père de Manaf : le général Moustapha Tlass. Ce dernier fut le plus fidèle compagnon de l’ancien président Hafez al-Assad et l’indéboulonnable ministre de la Défense de 1972 à 2004 - un record en Syrie. Il a par ailleurs amplement facilité l'arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad après la mort de son père, en 2000.
Certains observateurs estiment que cette défection spectaculaire pourrait accélérer celle d’autres hauts gradés sunnites et encourager la bourgeoisie issue de la même communauté à lâcher le régime. Selon Joshua Landis, la fuite de Manaf Tlass démontre que "le régime syrien est au plus mal", et qu’il ne s’agit plus "d’un soulèvement de jeunes hommes en colère dans la campagne".
"Quitter le mauvais chemin"
Selon un courriel non authentifié reçu par l'AFP et attribué au général Manaf Tlass, ce dernier appelle ses collègues militaires à "quitter le mauvais chemin". Ecarté du pouvoir depuis quelques mois car jugé peu fiable, selon une source proche du pouvoir citée par l’AFP, il aurait refusé de mener l'offensive en février-mars contre Baba Amr, un quartier de Homs contrôlé par les rebelles.
Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a indiqué vendredi que l'officier supérieur, arrivé cette semaine en Turquie, se dirigeait vers Paris, où habitent son père et sa sœur Nahed, veuve d'un riche marchand d'armes saoudien et bien implantée socialement. Son frère Firas, richissime homme d'affaires qui a fait fortune grâce à la proximité de sa famille avec le clan Assad, serait lui à Dubaï.
Les secrets du général Tlass
Abdel Basset Sayda, le président du CNS (qui rassemble la majeure partie des opposants syrien), a salué la défection du général Tlass. "Nous allons chercher à coopérer avec lui et nous appelons à d'autres défections", a-t-il déclaré vendredi lors d'une conférence de presse. Mais d’aucuns au sein de l’opposition syrienne se méfient toujours des raisons qui ont poussé cet homme "lié intrinsèquement au régime", à faire défection, 16 mois après le début de la campagne de répression.
Contacté par FRANCE 24, un opposant syrien vivant en France, et qui a requis l’anonymat, se demande si Manaf a fui "par conviction ou pour sauver sa fortune après avoir pressenti la chute du régime". La fortune amassée par la famille Tlass et ses privilèges passés "limitent sa crédibilité, justement à cause de cette proximité avec les cercles du pouvoir et leur fonctionnement corrompu", juge Ayham Kamel, un expert de la Syrie au sein de l’Eurasia Group, basé à Washington, interrogé par le Wall Street Journal.
Néanmoins, quelles que soient les intentions du général, du côté de Damas on frémit d’avance des secrets qu’il pourrait dévoiler sur le régime qui l’a vu grandir.