
36 15, c’est la fin. Samedi 30 juin, le Minitel sera définitivement coupé en France, après 30 ans d’innovations technologiques "Made in France" utilisées pour partie, aujourd'hui, sur Internet.
Trente ans après le premier célèbre “biiip” suraigu de la connexion du Minitel au réseau de France Télécom, le petit père du Net tirera définitivement sa révérence samedi. Si les us et coutumes numériques auxquels cette invention 100 % française ont donné naissance se retrouvent en partie utilisés sur le "World Wide Web" d'aujourd’hui, les mordus de messageries instantanées et les fanas de réseaux sociaux ne se rendent pas toujours compte qu’ils descendent, en fait, du miniteliste.
810 000 : c’est le nombre de terminaux encore actifs à l'heure où les serveurs doivent être définitivement coupés.
1 000 francs : c’était le coût de fabrication d’un terminal Minitel lors de ses débuts, en 1982. Le terminal était ensuite distribué gratuitement. À l'époque, la Direction générale des télécommunications fait le pari que le prix des communications permettra d’amortir ce “cadeau”. En 1990, les services proposés sur Minitel génèrent, en tout, un profit d’environ 6,5 millliards de francs.
25 millions : c’est le nombre de Français qui utilisent le Minitel à son apogée en 2002. Il est présent, cette année-là, dans 9 millions de foyers.
16 ans : C’est l’âge de Xavier Niel, aujourd’hui milliardaire et patron emblématique du fournisseur d’accès à Internet Free, lorsqu’il débute dans le monde du Minitel, en 1983. Il monte alors “des petits sites perso avec des potes”, rapporte un article de Libération de 2003 consacré au millionnaire du Minitel. Par la suite, il fonde le premier annuaire inversé (36 15 Annu) et, en 1991, rachète une société spécialisée dans la messagerie rose.
En plus d’être pour partie à l’origine du Web 2.0, le Minitel a marqué une rupture importante dans quasiment tous les domaines qui forment aujourd’hui la culture numérique. Passage en revue du leg de cette grande invention "Made in France".
Le 36 11 : Le Minitel n’a pas seulement marqué la première apparition du bottin sur un écran. “Il symbolise le premier service de base de données accessible au monde entier”, explique à FRANCE 24 Benjamin Thierry, historien des médias et co-auteur de “Le Minitel, l'enfance numérique de la France”. C’est la première fois que le grand public a eu accès à une telle quantité de données librement consultables et faciles à explorer. En ce sens, le 36 11 fut un précurseur des mouvements d’Open Data et de mise à disposition des internautes de larges bases de données publiques.
Messagerie instantanée : L’ancêtre du “chat” et d’autres messageries instantanées modernes est né par hasard. C'est en fait le résultat du piratage d'un outil de questions-réponses mis en place en 1982 sur Gretel, la plateforme de services des Dernières nouvelles d’Alsace (DNA). Un petit malin a, en effet, réussi à transformer cet outil pour envoyer des messages pour aider les minitelistes perdus dans les méandres de Gretel en première plateforme de discussion en temps réel devant un écran.
Le succès est immédiat, à tel point que certains attendent plus d'une heure pour simplement participer à ces discussions d'un nouveau genre, racontera Michel Landaret, le responsable technique de la plateforme des DNA sur Minitel.
L’engouement pour les messageries instantanées qui naît alors n’échappera pas à ceux qui réaliseront alors que le Minitel est une poule aux œufs d’or. Avec l’irruption, en 1984, des "36 15", services réservés aux entreprises de presse, bon nombre de médias traditionnels vont arrondir leurs fins de mois grâce à des messageries payantes (une heure de connexion à un "36 15" coûte 60 francs) qui deviennent de plus en plus coquines. “Le 36 15 Aline, par exemple, a permis au Nouvel Observateur d’amasser beaucoup d’argent à une époque où l’hebdo avait des problèmes financiers importants”, remarque Benjamin Thierry.
Le kiosque : “L’App Store d’Apple n’a rien inventé... ou presque”, s’enflamme l’historien des médias. En 1984, le Minitel mettait en place un système de paiement très novateur, baptisé "le kiosque", qui rappelle l’actuel fonctionnement de la boutique d’Apple. L’utilisateur ne payait pas le coût de la connexion à chaque prestataire de service directement mais celui-ci était ajouté à sa facture de téléphone. La Direction générale des télécommunications (DGT) fonctionnait donc comme un intermédiaire qui gardait un pourcentage (généralement 40 % pour la DGT et 60 % pour le prestataire de services) du montant de la transaction.
Vente par correspondance : Amazon aussi peut dire merci au Minitel. L’invention française a été le premier pas vers une dématérialisation de la vente. “Dès le départ, les grandes enseignes comme La Redoute ou Les 3 Suisses ont compris le potentiel du Minitel”, rappelle Benjamin Thierry. La petite boîte marron a ainsi permis de passer des commandes en ligne et de raccourcir les délais de livraison.
Elle a inauguré certains des comportements des "digital natives" ("nés avec les nouvelles technologies") en permanence connectés. Ainsi, l’apparition d’un service SNCF sur le Minitel permit de ne pas se déplacer en gare pour consulter les horaires des trains. “Avec le Minitel, pour la première fois, l’information venait à domicile et il ne fallait pas aller la chercher”, souligne Benjamin Thierry.
La banalisation du numérique : "À l'apogée de la gloire du Minitel, les rues des villes étaient souvent recouvertes de publicité pour des '36 15'", rappelle Benjamin Thierry. Le numérique était entré dans les mœurs des Français. Il a donc ouvert la voie à l'adoption du fils qui tuera le père : Internet.