Au lendemain de la victoire à l'élection présidentielle de Mohammed Morsi, le candidat des Frères musulmans, les libéraux qui ont voté "contre Chafiq" restent sur leurs gardes. Reportage à Alexandrie.
Son café a refroidi. Waleed n’y a même pas encore trempé ses lèvres. Il est plongé dans son journal, les sourcils froncés et le visage inquiet. Il lit comme beaucoup d’Égyptiens le quotidien indépendant "Al Masry Al Youm", qui titre à la une "Morsi, premier président civil d’Égypte". "C’est merveilleux mais je ne sais pas du tout où va le pays, ni quels vont être les pouvoirs de Morsi. C’est nouveau pour nous. C’est la première fois que l’Égypte élit son président", explique ce médecin de 32 ans qui a voté El-Baradei au premier tour puis Morsi au second. "J’ai choisi un moindre mal pour la démocratie", ajoute-t-il. Comme beaucoup de libéraux, il a misé sur la capacité d’ouverture des Frères musulmans.
Il s’interroge pourtant sur les capacités de Mohammed Morsi à être un président de la démocratie : "Morsi tend la main aux autres candidats et a promis un gouvernement d’ouverture. Mais saura-t-il amener la démocratie ? Les six jours qui viennent sont pour moi critiques". En effet, les militaires ont promis de remettre le pouvoir au nouveau président d’ici le 30 juin.
"L'armée ne partira pas comme ça"
À la cafétéria de l’université d’Alexandrie, les étudiants, bien qu’en période de révision des examens, ne cessent de parler politique. Du jamais vu dans le pays. "J’ai peur que les Frères fassent en sous-main des arrangements avec l’armée. On ne sait jamais trop ce qu’ils font. Au début de la révolution, ils étaient avec nous contre les militaires. Puis, ils ont passé des accords avec le Conseil suprême des forces armées avant les législatives", explique Hamra, un étudiant en deuxième année de sciences politiques. Le jeune homme ajoute : "Aujourd’hui, Morsi a promis à tous les libéraux qui ont voté pour lui la fin du régime militaire. Mais peut-on le croire ? J’en doute… L’armée ne partira pas comme ça".
Son amie affiche plus d’optimisme. "Ils seront obligés de prendre en compte nos revendications politiques. Sans nos bulletins, les Frères n’auraient jamais été élu. Morsi sait qu’on l’attend au tournant. S’il veut rester au pouvoir sans avoir la place Tahrir contre lui, il doit faire des compromis", analyse-t-elle.
Dans son premier discours à la nation dimanche 24 juin, Mohammed Morsi a voulu se positionner d’emblée en rassembleur. Étant passé de 5 millions de voix au premier tour à 13 millions au second, le nouveau président n’a pas été élu par la seule Confrérie mais par toute une frange de la société qui place en lui les espoirs démocratiques de la révolution.
"Une confiance à bâtir"
Pour le Dr Mamdouh Mansour, directeur du département de sciences politiques à l’université d’Alexandrie, c’est le défi qui attend le "premier président civil d’Egypte". "Morsi doit faire tout ce qu’il peut pour avoir la confiance du peuple et de ces 8 millions de voix autres que celle des Frères musulmans. Le va et vient constant de la Confrérie vis-à-vis de l’armée pendant la révolution n’a pas été clair. Il y a une confiance à bâtir entre Morsi et les libéraux qui lui ont accordé leur vote le 17 juin", explique-t-il.
La marge de manœuvre dont disposera le nouveau chef d’Etat n’est pas clair. "On verra au moment de la formation du gouvernement si l’armée exerce des pressions", conclut perplexe Mamdouh Mansour.