La jeunesse de Dharamsala, terre d'accueil de gouvernement tibétain en exil, vénère le dalaï-lama. Mais en grandissant, beaucoup de Tibétains se sentent frustrés par son approche prudente du conflit avec la Chine.
Dès l’aube, les prières du monastère résonnent dans les ruelles tortueuses de Dharamsala. Depuis quelques jours, les cérémonies et les hommages se multiplient pour célébrer un triste anniversaire : les 50 ans d’exil du dalaï-lama, qui avait fui la répression chinoise en 1959. Une date symbolique qui réunit aujourd’hui toutes les générations d’exilés.
Tenzing, Tashi et Bhuchung ont été dispensés d’école, ce matin, comme tous leurs camarades de classe pour qu’ils puissent participer aux célébrations. Collégiens à Dharamsala, ils n'auraient manqué pour rien au monde le rendez-vous. Leur enfance, ils l’ont passée au Tibet… avant de prendre, eux-aussi, le chemin de l’exil, comme des milliers d’autres avant eux - et comme le dalaï-lama.
C’était il y a 5 ans. Leurs parents voulaient qu’ils grandissent au plus près du leader spirituel. Lorsqu’il apparaît devant eux dans la cour du monastère, ils accourent et tentent de se frayer un chemin dans la foule pour recevoir sa bénédiction.
"Nous sommes tous derrière le dalaï-lama, nous explique Tenzing du haut de ses 14 ans. Tous les jeunes ici le suivent. C’est notre guide. C’est lui qui nous offre aujourd’hui une éducation. On a beaucoup de chance… Si on était resté au Tibet, jamais on aurait pu avoir ça."
Tous les jeunes exilés ont grandi dans le mythe de celui qu’ils appellent "Sa Sainteté". Lorsqu’ils arrivent en Inde, c’est le dalaï-lama en personne qui leur a remis à chacun une enveloppe, avec un message de bienvenue pas seulement symbolique. Ils deviennent des citoyens du gouvernement en exil… École, nourriture, logement : aussi longtemps que nécessaire, ils sont pris en charge financièrement.
Un signal fort adressé au gouvernement chinois
Pour ces jeunes enfants, le dalaï-lama représente avant tout, à 73 ans, celui qui leur a permis de commencer une nouvelle vie. Pourtant, aujourd’hui, parmi les nouvelles générations d’exilés, c’est un autre discours que l’on entend. Les critiques se font de plus en plus vives pour remettre en cause sa politique.
Nous avons rencontré Tenzing Choeying. À 30 ans, il est un membre actif d’une organisation étudiante qui milite pour une Tibet indépendant. Pour lui, 50 années de lutte pacifique, explique-t-il, n’ont pas permis de faire avancer la cause tibétaine. "Le dalaï-lama nous parle toujours de pardon et de négociation. Les Chinois sont insensibles à ces messages, alors il faut les contraindre. Aujourd’hui, c’est un moment où l’on peut affronter le gouvernement chinois. Regardez ce qui s’est passé l’année dernière. Tout le Tibet s’est soulevé. Et ça c’était un signal fort pour leur gouvernement."
Dans le local de l’organisation, placardées au mur, des photos des émeutes de Lhassa qui avaient éclaté l’année dernière au mois de mars. Pour Tenzing Choeying, ces évènements illustrent le décalage grandissant entre le discours du dalaï-lama et une jeunesse tibétaine aujourd’hui à bout.
Quelques ruelles en contre-bas, dans un café de la ville, deux réfugiés nous ont donné rendez-vous mais tiennent à garder l'anonymat. Critiquer le dalaï-lama est encore tabou. Ils sont nés à Dharamsala et ont perdu tout espoir de voir la situation évoluer. "Le dalaï-lama est trop vieux aujourd’hui pour nous comprendre. La non-violence qu’il prône n’a servi à rien. La situatio ne fait qu’empirer au Tibet."
Ils nous assurent que le mouvement va se radicaliser. "C’est inévitable" dans les années qui viennent, disent-ils. Cinquante ans après l'exil du dalaï-lama et à l’heure où la question de sa succession se pose avec de plus en plus d’insistance, le fossé se creuse avec la jeunesse tibétaine en exil. Celle qui a grandi à Dharamsala. Qui n’a jamais connu le Tibet et qui craint de ne jamais le connaître un jour …