logo

Alors que Paris tente de dissuader Moscou de poursuivre ses livraisons d’armes à la Syrie, le groupe français Thalès vend des caméras thermiques destinées aux chars russes. Une ambivalence que certaines ONG n'hésitent pas à dénoncer.

Au milieu des fusils d'assaut, drones et autres systèmes de conduite de tirs, c’est le stand tenu par la firme russe Rosoboronexport, principal fournisseur d’armes à la Syrie, qui attire les regards des visiteurs venus au salon de l’armement Eurosatory, à Villepinte, en banlieue parisienne.

L’entreprise vient de passer un contrat avec le groupe français d’électronique de défense Thalès portant sur la vente de caméras thermiques destinées à équiper des chars russes. Un contrat qui a été rendu officiel alors que des soupçons sur la livraison de nouveaux hélicoptères de combat à la Syrie pèsent sur Moscou.

Depuis le début de la contestation syrienne en mars 2011, la répression orchestrée par l’armée de Bachar al-Assad aurait fait quelque 13 000 morts, selon l’ONU. N’étant pas concernée par l’embargo en vigueur dans l’Union européenne (UE) sur les livraisons d’armes, la Russie a expédié en 2011 plus de 960 millions de dollars d'armes à la Syrie, selon l’ONG Avaaz.

Tandis que Washington indiquait, mardi 12 juin, avoir directement demandé à Moscou d’arrêter leurs livraisons à Damas, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a exigé mercredi l’arrêt total des exportations d’armes dans le pays.

Thalès et Rosoboronexport, une coopération ancienne

Cependant, la position de la France est considérée comme contradictoire par Aymeric Elluin, chargé de campagne Armes et impunité pour Amnesty International, joint par FRANCE 24. "On attendait plus de fermeté de la part de la France lors de la tenue de ce salon, surtout face à un État qui prend régulièrement la communauté internationale en otage dans le dossier syrien, en posant son veto", clame-t-il. Par ailleurs, Philippe Migault, spécialiste des questions de défense au sein de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), note que "malgré ses déclarations, la France ne boycotte pas la Russie".

Actionnaire de Thalès, l’État français doit donner son aval sur toute vente d’armes ou d’équipements conformément à la législation européenne. Les partenariats entre la firme russe et le géant français ne sont d’ailleurs pas nouveaux. En 2007 déjà, Rosoboronexport passait commande auprès de Thalès pour la livraison d’une centaine de caméras thermiques de type Catherine FC, destinées aux chars T-90.

Des caméras qui ne seront pas exportées ?

Mais ces nouvelles caméras thermiques ne sont pas destinées à l’exportation, selon Thalès, qui ne communique ni le montant du contrat, ni le nombre de caméras concernées. Ayant pour destinataire l’armée russe, ce matériel ne saurait être exporté en dehors du territoire russe sans autorisation préalable des autorités françaises. Seulement voilà, par le passé, d’autres partenaires n’ont eu que faire de cette contrainte, à commencer par le Qatar qui a réexporté, sans autorisation, à Benghazi, en Libye, des lance-missiles Milan fournis par la France. Selon l’hebdomadaire "Le Nouvel Observateur", le matériel de Thalès équipera bientôt les "engins blindés proposés à l’exportation".

Capable de distinguer des êtres vivants en pleine nuit grâce à la chaleur qu’ils dégagent, ces caméras sont destinées à équiper des chars de type T-90, absents du territoire syrien. Elles seraient toutefois également en mesure de moderniser celles installées sur le modèle T-72, présent lui en Syrie. Mais rien n’indique que Rosoboronexport ne les destine à ce type d'appareils.

Quant à savoir si des armes françaises sont présentes sur le sol syrien, Pieter Wezeman, chargé de recherche dans le cadre du programme sur le transfert d’armes à l'Institut de recherche international sur la paix (Sipri, basé à Stockholm) affirme à FRANCE 24 qu’il est très difficile de déterminer quel matériel est présent dans le pays et ce qui est en état de marche. Mais en décembre 2011, précise-t-il, des hélicoptères Gazelle, fournis par la France au début des années 1980, ont été vus lors d’exercices de l’armée en Syrie, impliquant qu’ils sont toujours en état de marche. Du matériel que Bachar al-Assad pourrait garder sous le coude.