À moins de deux semaines du second tour de la présidentielle, la dirigeante du Conseil national de la femme en Égypte accuse les islamistes de menacer les droits des femmes. Mais le candidat de l'armée est-il une alternative pour les Égyptiennes ?
Harcèlement sexuel, discrimination au sein du monde du travail, pauvreté et analphabétisme : il ne fait décidément pas bon être une femme en Égypte. Les femmes sont les victimes d’un système politiquement et socialement discriminant. Mais elles sont également les premières à se battre pour défendre leurs droits. Droit de voter, de siéger au Parlement, mais aussi droit de divorcer, de travailler, de s’habiller comme elles le souhaitent.
Dans "Les Femmes du bus 678", premier long-métrage du réalisateur égyptien Mohamed Diab, tourné avant la chute de Hosni Moubarak et sorti en France le mois dernier, des femmes victimes de harcèlement sexuel décident de secouer le joug de l’indifférence et de l’opprobre. Des personnages de fiction, certes, mais dans un film qui aborde frontalement un problème de société.
Sur une autre scène, celle de la politique cette fois, d’autres femmes bien réelles montent au créneau pour défendre leurs droits. La dirigeante du Conseil national de la femme en Egypte, Mervat Tallaoui, a accusé jeudi 7 juin les islamistes de battre en brèche leurs acquis. "Ils [les islamistes ndlr] ne veulent pas d'institution pour les femmes. Selon eux, les accords internationaux sont impérialistes et viennent de l'étranger", a-t-elle déclaré lors d'une interview accordée à l'agence Reuters.
Mervat Tallaoui reproche au Parti de la liberté et de la justice (PLJ), organe politique des Frères musulmans majoritaire au Parlement, d’essayer de "priver les femmes des acquis qu’elles ont obtenus". Les islamistes sont notamment accusés de vouloir abroger une loi qui permet à une femme de divorcer , à la condition de rendre à son mari les biens et l’argent qu’elle a reçus pendant son mariage.
En avril dernier, Mervat Tallaoui s’était déjà opposée à l’adoption par le Parlement d’un projet de loi controversé qui prévoyait de baisser à 14 ans l’âge légal du mariage pour les jeunes filles.
La cause des femmes : un instrument politique ?
Le Conseil national des femmes fait l’objet de nombreuses critiques en Egypte en raison de ses liens avec l’ancien régime d’Hosni Moubarak. Fondé par décret présidentiel en 2000, il était dirigé, jusqu’en 2011, par la femme de l’ancien président, Suzanne Moubarak.
Les Frères musulmans qualifient le Conseil national de la femme "d’arme de l’ancien régime pour briser les familles", dans un communiqué publié sur leur site. En mars dernier, le PLJ appelait même à remplacer cet organe par un Conseil national de la famille pour "véritablement exprimer la complémentarité des rôles de l'homme et de la femme", selon le quotidien "Al-Ahram".
À la suite de la proclamation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, avait tenu à rassurer les femmes, promettant de "ne pas leur imposer de porter le hijab [voile islamique ndlr]", une revendication des femmes coptes, mais aussi des musulmanes progressistes. Elles pourront également continuer de s’habiller comme elle le souhaitent et choisir leur profession, a-t-il assuré. Des promesses qui ne sont pas sans visée électoraliste : outre le fait que les femmes représentent 23 millions de voix, les femmes non voilées sont plus largement favorables à Ahmed Chafik, qui affrontera Mohamed Morsi au second tour de la présidentielle, les 16 et 17 juin.
"Notre seule issue est une seconde révolution"
Mais Ahmed Chafik est loin d’être une figure rassurante pour les Egyptiennes. Dernier Premier ministre de l’ère Moubarak, il incarne la continuation d’un État militaire, tout aussi oppressif à l’égard des femmes. "Les militaires qui ont pris le pouvoir sont des reliquats du règne de Moubarak qui a toujours violé les droits des femmes", continue Samira Ibrahim. Arrêtée lors d’une manifestation sur la place Tahrir, le 9 mars 2011, la militante de 25 ans a été molestée par l’armée et condamnée à subir un test de virginité. Avec l’appui de son père, mais sans celui des partis politiques, la jeune militante a porté plainte contre le Conseil suprême des forces armées.
La blogueuse est d’ailleurs des plus véhémentes lorsqu’elle évoque Mervat Tallaoui, "la main du pouvoir militaire". "Elle est une menace au droit des femmes tout autant que les islamistes. Elle est totalement manipulée par l’armée et ne nous rend pas justice : elle n’a pas ouvert la bouche quand j’ai subi le test de virginité", s’insurge la jeune femme.
Le harcèlement des policiers n’est pas du domaine de l’exception. Selon un rapport publié en 2008 par l'Egyptian center for women’s rights (ECWR), une ONG basée au Caire, 83 % des femmes interrogées déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel, mais seulement 2,4 % ont osé porter plainte. En cause : la honte, l’ostracisme et la réaction des policiers qui se moquent ou harcèlent à leur tour celles qui viennent dénoncer les attaques.
Pour Samira Ibrahim, comme pour toute une génération de révolutionnaires, Morsi ou Chafik, c’est le choix de la peste ou du choléra : "Notre seule issue est une seconde révolution pour que les hommes et les femmes puissent se libérer. Et elle est déjà en cours : nous sommes toujours des milliers à nous mobiliser".
Bande annonce du film "Les femmes du bus 678", de Mohamed Diab