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Libye, la guerre d'après Bernard-Henri Lévy

"Le Serment de Tobrouk" met en scène l'écrivain français Bernard-Henri Lévy qui tente de convaincre le président français de l'époque, Nicolas Sarkozy, d'intervenir dans le conflit libyen. Une autopromotion non sans intérêt.

Derrière la chemise blanche se cache la fabrique de l’Histoire. Dans "Le Serment de Tobrouk", l’écrivain et philosophe français Bernard-Henri Lévy dévoile les coulisses de négociations qu’il a secrètement  menées pour aider la Libye à sortir de la tyrannie de Mouammar Kadhafi.  Plus d’un an après l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies - feu vert de l’intervention militaire de l’Otan en Libye -, le documentaire dresse la saga complaisante d’un intellectuel qui est parvenu à forcer l’agenda international en Libye.

Son éternelle silhouette - costume noir impeccable, chemise ouverte immaculée et chevelure grisonnante -  passe des dunes du désert libyen aux ors de l’Elysée, s’efforçant d’infléchir la diplomatie internationale. L’écrivain de 63 ans traverse l a France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Sénégal ou la Turquie, au fil des rencontres avec les grands de ce monde, dont Nicolas Sarkozy, le Premier ministre britannique David Cameron, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton ou l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Susan Rice. 
A l’aune de leurs récits, on apprend comment le cours de l’Histoire est parfois façonné par des individus. Par Nicolas Sarkozy, par exemple, qui a ouvert la voie à l’intervention internationale en reconnaissant le Conseil national de transition (CNT) en mars 2011. Ou par Barack Obama qui, en un coup de téléphone nocturne avec les autres leaders internationaux, parvient à faire passer la résolution 1973 de l’ONU. Mais "Le Serment de Tobrouk" met surtout en scène BHL, qui, en diplomate improvisé, se veut le sauveur  du peuple libyen.
Le nouveau combat du "philosophe militant"
L'engagement du "philosophe militant", tel qu’il se définit lui-même, s’inscrit dans trente années de combats sur différents théâtres de la planète : en Afghanistan par exemple, où BHL avait épousé la cause d’Ahmad Shah Massoud dans sa lutte contre les Taliban. Comme nous le rappelle les images d’archives soigneusement insérées dans "Le Serment de Tobrouk", Bernard-Henri Lévy avait rencontré en 1998 le " Lion du Panshir" pour l’assurer de son aide.
Mais il avait échoué à convaincre Jacques Chirac, comme il avait échoué en 1992 avec François Mitterrand pour la Bosnie. La Libye était donc pour BHL une nouvelle occasion de se jeter corps et âme dans une cause et réussir - enfin - à convaincre un président à le suivre. Dès le début du film, BHL indique donc sans détour qu’il mettra toutes ses forces à persuader Nicolas Sarkozy de soutenir diplomatiquement et militairement la révolution libyenne.
"Je pense que BHL a joué un rôle important pour Sarkozy qui avait l’intention d’intervenir de toute façon, analyse Christopher Dickey, directeur du bureau parisien de "Newsweek". La question qui se posait était de savoir à qui parler. Et BHL a trouvé le bon interlocuteur lors de sa première visite à Benghazi [siège de l’insurrection en Libye ndlr]." BHL a mis en contact le président français avec Moustapha Abdel Jalil, qui est à la tête du CNT. 
Un plaidoyer dans le désert libyen
Soutenir la révolte du peuple libyen : l’intention forcerait l’admiration si BHL n’était de tous les plans, marquant de son sceau toutes les étapes de la fabrication du film. Réalisateur, acteur, narrateur omniscient et metteur en scène de la révolution, l’omniprésent écrivain à la chemise blanche n’est pas sans agacer.
Il dirige comme il le peut les acteurs de l’Histoire, sous le regard du photographe Marc Roussel qui, grâce aux appareils numériques nouvelle génération, s’est transformé en cameraman aux moments opportuns.
Assis dans la salle de projection lors de la sortie du documentaire, mercredi 6 juin, Nino Ciccarone, un professeur en retraite, choisit ses mots lorsqu’il s’agit d’évoquer l’intellectuel. "BHL est très controversé en France - comme l’est sa position sur la Libye. Donc ce qu’il a à dire m’intéresse", résume-t-il avec prudence.
En effet, BHL ne laisse pas indifférent, surtout lorsqu’il emmène le spectateur sur les traces d’André Malraux, d’Hemingway, et de la deuxième division blindée de Philippe Leclerc, alors colonel. En 1941, après la bataille de Koufra, oasis italienne du sud-est de la Libye, les Forces françaises libres se sont engagées à poursuivre le combat jusqu'à ce que la France soit débarrassée des nazis. En bon metteur en scène, c’est donc dans le cimetière des Forces françaises libres de Tobrouk que BHL emmène ses compagnons libyens, livrant une vision moderne du serment passée plus de 60 ans auparavant.
Un film qui en dit plus long sur BHL que sur les Libyens
Narcissique, manipulateur, malhonnête… BHL a été la cible de nombreuses critiques. On lui a notamment reproché de "se laver les mains" des vrais problèmes qui touchent la Libye aujourd’hui, une accusation que ce dernier rejette avec véhémence. "Le Serment de Tobrouk" n’élude pas la montée des islamistes en Libye ni le très controversé discours de Moustapha Abdel Jalil le 24 octobre 2011. Le président du CNT y plaidait pour l’ instauration de la charia, l’interdiction du divorce et l'autorisation de la polygamie.
Mais ces questions ne sont que ponctuellement abordées dans un film qui en dit long sur BHL et relativement peu sur les Libyens. Si le documentaire de 100 minutes montre des images de BHL lors de sa visite au Premier ministre israélien en juin 2011, aucune mention n’est faite de l’erreur qu’il a commise en assurant à Benjamin Netanyahou que le CNT tisserait des liens diplomatiques avec l’Etat hébreu s’il arrivait au pouvoir. Des allégations aussitôt niées par le Conseil libyen. 
Aujourd’hui, alors que François Hollande est installé à l’Elysée, il fort peu probable que BHL puisse jouer le même rôle en Syrie, qui connaît un soulèvement sanglant depuis plus d’un an. "BHL risque de perdre un peu de son influence avec le départ de Sarkozy, estime Christopher Dickey. On voit BHL comme un acteur certes indépendant mais non moins imprévisible et les hommes politiques n’aiment pas les gens imprévisibles. Surtout dans des affaires sensibles." On espère croire que la paix en Syrie saura se passer de lui.