Depuis 1991, la Somalie est privée d'un gouvernement central qui serait en mesure d'assurer la sécurité intérieure. Retour sur les enjeux et les protagonistes d'un conflit qui s'enlise et déstabilise l'ensemble de la corne de l'Afrique.
Trois pays en un
Un État divisé, une capitale en ruine. Photo : AFP |
Depuis 17 ans, la Somalie est ravagée par la guerre civile.
Le gouvernement officiellement reconnu par l’ONU ne contrôle que quelques pâtés de maison tandis qu’un tiers des députés s’est refugié au Kenya. Fin 2008, Abdullahi Yusuf Ahmed, président de transition depuis 2004, a annoncé sa démission peu après son Premier Ministre, Mohamoud Mohamed Gouled, initialement nommé pour remplacer Nur Hassan Hussein.
La capitale Mogadiscio, déchirée par les combats qui opposent des troupes pro-gouvernementales et étrangères à diverses factions islamistes, se vide peu à peu de ses habitants.
Le sud du pays est aux mains des insurgés alors que des chefs de guerre locaux contrôlent des parcelles du territoire.
Une situation complexe dans laquelle interviennent quatre principaux protagonistes.
Les factions islamistes
Les Shebab ont promis d'appliquer la charia (loi islamique) dans le pays. Photo : AFP |
Les Shebab (littéralement "jeunesse" en arabe) dirigent depuis 2007 une guérilla sanglante contre les troupes éthiopiennes, les forces de sécurité somaliennes, les troupes de l'Union africaine (UA) et des responsables gouvernementaux. Leur but : prendre le pouvoir et imposer la charia (loi islamique) en Somalie.
Ils organisent presque quotidiennement des attaques dans Mogadiscio, ont la mainmise sur plusieurs points stratégiques du pays et contrôlent le sud du pays. Depuis août, ils tiennent Kismayo (500 km au sud de Mogadiscio), la plus grande ville du sud du pays. Qualifiés depuis 2008 de groupe terroriste par les Etats-Unis, les Shebab sont la branche la plus radicale des Tribunaux islamiques.
En 2006, ce regroupement de tribunaux religieux locaux a contrôlé le centre et le sud de la Somalie six mois durant. En instaurant un semblant d’ordre dans un pays dévasté par la guerre civile, ces radicaux ont acquis une certaine popularité auprès de la population. Plus modérés, les Tribunaux islamiques se montrent favorables à des négociations avec le gouvernement somalien.
Les Etats-Unis frileusement impliqués
Le camp Lemonier, base américaine à Djibouti. |
Depuis le 11 septembre 2001, la Somalie est un enjeu pour Washington, qui accuse les islamistes somaliens d’offrir l'asile à des membres d'Al-Qaïda. Les États-Unis craignent que le pays ne devienne une base arrière de l'organisation terroriste en Afrique.
Si les Etats-Unis appuient financièrement et techniquement l’Ethiopie, qui a déployé son armée en Somalie en 2006, l'implication américaine reste très limitée sur le terrain. Les Américains restent traumatisés par leur dernière intervention militaire dans le pays.
En 1993, les Etats-Unis, soucieux de capturer un seigneur de guerre, lancent une opération en Somalie, où ils subissent alors une cuisante déroute. Les médias du monde entier retransmettent les images de cadavres de soldats américains traînés dans les rues de Mogadiscio. Un désastre qui a durablement marqué l’opinion publique américaine.
L’Ethiopie au cœur de la guerre civile somalienne
Un soldat éthiopien dans le nord de la capitale somalienne en avril 2008. Photo : AFP |
Les islamistes ambitionnent de réunir dans une "Grande Somalie" tous les Somalis vivant à Djibouti, au Kenya et en Éthiopie. Un dessein qui passe par le dépeçage de la province éthiopienne de l'Ogaden, une région qui a déjà fait l’objet d’une tentative d’annexion de la part de la Somalie en 1964, puis en 1977.
Face à cette menace et craignant également de voir la région s’islamiser, l’Ethiopie, majoritairement chrétienne, soutient militairement le gouvernement somalien depuis le début de l’année 2007.
Mais cette guerre, qui devait être une "promenade de santé" de quelques mois s’éternise et lui coûte énormément, tant en argent qu’en hommes.
Addis-Abeba a annoncé un retrait progressif de ses troupes début 2009. Mais il est difficile pour l’Ethiopie de se désengager car elle laisserait le champ presque libre aux insurgés.
La force de l’UA sur place, l’Amisom, manque de moyens financiers et humains, et risque d’être la première victime du départ des Ethiopiens. L’armée somalienne, quant à elle, est en piteux état et l’ONU n’envisage pas d’intervenir.
Un conflit aux couleurs régionales
Des soldats ougandais de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM). |
Outre l’Ethiopie, d’autres pays limitrophes jouent un rôle plus ou moins direct dans cette guerre.
L’Erythrée, en conflit larvé avec l’Ethiopie depuis des années, soutient les Shebab et, avant eux, les Tribunaux islamiques. Asmara a, entre autres, accueilli la plupart des chefs politiques islamistes après leur déroute au début de l’année 2007.
Le Qatar est lui aussi soupçonné de financer l’Erythrée et les islamistes. L’Ethiopie a d’ailleurs rompu ses relations diplomatiques avec l’émirat en avril 2008.
Le bourbier somalien a également des répercussions en Ouganda. Ce pays des Grands Lacs, qui fournit une importante partie du contingent des 3 000 soldats dépêchés par l’UA, redoute de devenir la cible d'attaques des islamistes somaliens. Le retrait des troupes éthiopiennes pourrait signifier l’effondrement des fragiles institutions somaliennes et, de fait, un afflux d’immigrés somaliens sur son territoire.
Enfin, Al-Qaïda pourrait également, comme en sont persuadés les Etats-Unis, soutenir les opérations des groupes islamistes. La série de cinq attentats, fin octobre 2008, dans les provinces du Puntland et du Somaliland, porterait, selon Washington, "la marque d'Al-Qaïda".