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Alep, deuxième plus grande ville de Syrie, connaît depuis une quinzaine de jours d’importantes manifestations de protestation. Mais elle n’est pas pour autant devenue un bastion contre le régime de Bachar al-Assad.

À Alep, deuxième ville de Syrie, des milliers de personnes ont manifesté samedi matin à l'occasion de funérailles dans le quartier de Seif al-Daoula. Les "plus importantes manifestations" contre le régime depuis la début de la révolte en mars 2011, selon l'Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), avaient eu lieu vendredi à Alep, 1,7 million d’habitants, où des blindés ont pénétré pour la première fois. D'ailleurs, ces deux derniers vendredis, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans la ville.

"Alep ne pouvait pas rester indifférente au mouvement de contestation, mais la mobilisation est surévaluée. Les manifestations sont encore clairsemées et n’ont pas l’ampleur de celles de Homs ou de Hama", estime Fabrice Balanche, maître de conférence à l’université Lyon-II et membre du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo). "Ceux qui manifestent viennent des provinces du nord et du centre. Ils sont venus grossir les banlieues d’Alep."

"Depuis le premier attentat survenu en ville [le 10 février 2012, NDLR], l’insécurité règne : des chabbihas - les miliciens du régime - circulent à moto en tirant en l’air", confie un habitant d’Alep joint par téléphone. Et d’ajouter : "Le simple fait de traverser une rue est devenu dangereux." "Le régime a recruté ces chabbihas dans les banlieues d’Alep, explique Fabrice Balanche. Ce sont des néo-citadins avec une assez forte organisation tribale. Les jeunes désoeuvrés sont payés 300 à 500 dollars par mois pour disperser tout début de rassemblement hostile au régime. Ces milices, principalement armées de bâtons, quadrillent très bien la ville."

Les manifestations de ces dernières semaines ont été cantonnées à quelques quartiers périphériques d’Alep. Un habitant de la ville, joint par téléphone, évoque également la vive contestation qui enflamme la cité universitaire depuis plusieurs semaines. Début mai, des membres des forces de sécurité syriennes avaient pénétré en armes sur le campus, semant la terreur. Deuxième ville universitaire de Syrie, Alep attire des étudiants venus de tout le pays dont certains issus de villes qui se sont déjà soulevées - comme Idlib, Deir Ezzor ou Deraa.

La répartition des minorités religieuses en Syrie

Sur la route de Damas…

Depuis les premières manifestations, il y a plus d’un an, la bourgeoise du centre-ville d’Alep n’a jamais bougé. "Elle ne bougera pas car elle a de la mémoire", prédit Fabrice Balanche. En 1980, les bourgeois avaient soutenu la révolte des Frères musulmans contre le régime alaouite d’Hafez al-Assad, en participant à la grève générale. Ce dernier le leur avait fait payer : les investissements nationaux avaient été réduits pendant vingt ans.

Depuis une dizaine d’années, le régime de Bachar al-Assad s’est montré beaucoup plus clément vis-à-vis des Aleppins, assurant la paix sociale aux commerçants de cette cité du nord-ouest du pays.

"Les commerçants aleppins saisissent toutes les opportunités." L’industrie syrienne, qui avait été coulée par les entreprises turques, se satisfont de la rupture actuelle avec Ankara, favorable aux insurgés. Depuis décembre, les autorités turques ont imposé une taxe de 30 % sur les marchandises venues de Syrie, Damas appliquant les mêmes mesures sur les produits turcs. "Les échanges se multiplient avec l’Irak et si le marché iranien pouvait s’ouvrir encore davantage, cela serait une bonne choses pour eux", explique Fabrice Balanche. Choyés par Damas, les commerçants d’Alep n’ont toujours pas digéré l’incendie de la plus grande usine de la ville, en 2011. Le sinistre a été attribué à l’armée syrienne libre - ou à une de ses branches.

Située à un carrefour commercial, Alep se trouve aussi sur la route de Damas pour l’opposition syrienne, stationnée à la frontière turque, ce qui fait dire à Fabrice Balanche que "si la ville d’Alep ne va pas toute entière basculer dans la contestation, elle n’échappera pas à des attentats", comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises. Et d'ajouter : "Si l’armée syrienne libre s’attaque encore au commerce, l’armée va accentuer la répression", anticipe le maître de conférence à Lyon-II.