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Au large de la Somalie, dans les eaux les plus dangereuses du monde

à bord du Floréal, dans l'océan Indien – Reportage à bord du Floréal, frégate française relevant de la mission Atalante, chargé d'escorter un navire du PAM jusqu'à Mogadiscio. Si le danger peut surgir à chaque instant, sur le trajet, les soldats cherchent à tromper l'ennui.


"Embarcation à bâbord !", hurle le veilleur. L'aube se lève à peine. Sur la passerelle encore endormie de la frégate le Floréal, le chef de quart sursaute et se jette sur les jumelles. Deux petites embarcations de bois, des skiffs, dérivent au milieu de l’océan Indien. Les pêcheurs somaliens et yéménites utilisent ces rafiots. Les pirates aussi.

Immédiatement, le chef de quart change de cap et monte en allure. "Il faut réagir vite", explique-t-il.

La tension tombe soudainement aux abords des rafiots. Fausse alerte : il s’agit bien de pêcheurs, comme le confirment les filets qu'ils extirpent de l’eau au même moment.

 L’Océan est de nouveau calme. Pas un bateau en vue, exception faite du Victoria, chargé de 4 000 tonnes de vivres envoyées en Somalie par le Programme alimentaire mondiale (PAM) de l'ONU. Le Floréal, frégate française sous commandement européen, l’escorte jusqu’à Mogadiscio.

La veille, les deux bâtiments ont quitté Mombasa, au Kenya, l'un des plus anciens ports de la côte est du continent africain. Le voyage devrait durer moins de trois jours. 72 heures à scruter l’océan, à la recherche d’éventuels pirates. 72 heures à assurer la sécurité du Victoria et celle de son équipage.

Dans la région, les flibustiers pullulent. En 2008, ils ont attaqué 111 navires, en ont capturé 42 et ont pris en otages 815 marins, dont 242 sont encore en captivité. Le dernier rapport du Centre anti-piraterie du Bureau maritime international (BMI), publié en janvier 2009, est éloquent : les chiffres de 2008 dépassent tous ceux enregistrés depuis le début du recensement des actes de piraterie par le Centre, en 1991.

Non contents d’avoir réalisé un "chiffre d’affaires" supérieur à 18 millions de dollars, entre janvier et octobre 2008, les flibustiers auraient récupéré, au début du mois de janvier, 3 millions de dollars en échange du super tanker saoudien Sirius Star. Cette fortune amassée au cours des mois leur a permis de se métamorphoser en truands surarmés. "Mitrailleuse automatique, lance-roquettes, GPS, téléphone satellite et parfois même de l’Automatic Indentification System [AIS], rien n'est trop beau", témoigne Pit, l'un des commandos embarqués à bord du Floréal, dont l'identité reste cachée pour des raison de sécurité.

Pour s'attaquer au fléau qui paralyse l'une des routes maritimes commerciales les plus importantes du monde, l'Union européenne s'est lancée à la fin de 2008 dans une opération anti-piraterie : la mission Atalante, à laquelle est rattaché le Floréal.

En attente d'un peu d’action

Confortablement installé sur la passerelle de la frégate, le commandant Gérald Menut profite de la vue à 180°. Le troisième jour d'escorte se termine. En ce début de mois de mars, la température avoisine encore 30°C. Il n'y a rien à signaler depuis la fausse alerte de la veille.

Le "Pacha" - titre donné familièrement au commandant - se lève. Il donne les derniers ordres, avant de se retirer dans son carré pour diner. L’homme de 44 ans est confiant : "La mission d’escorte est assez simple", assure-t-il.

A bord, les 95 marins s’affairent. Le bourdonnement des machines couvre tous les bruits, créant ainsi une atmosphère étrangement feutrée. L’ambiance est paisible - presque trop. Il s'agit de la quatrième escorte de l'équipage en deux mois. Tous les hommes attendent un peu d’action. Il n'ont vu les pirates qu'une fois, à la fin du mois de janvier, alors qu'ils patrouillaient dans le golfe d'Aden. Outre l'escorte des bateaux du PAM, les frégates d'Atalante mènent des opérations de contrôle dans les zones dangereuses autour de la Somalie.

À l'approche des côtes, la tension monte d’un cran

Au quatrième matin, la situation en mer n’a pas changé : c'est le calme plat. Pourtant, l’effervescence a envahi la coursive principale. Dans quelques heures, le navire se trouvera à quelques miles de Mogadiscio, dans une zone extrêmement dangereuse. Déjà, les côtes de la Somalie se dessinent à l’horizon. Les tireurs se positionnent devant leurs mitrailleuses. Sous les gilets pare-balles, lourds de plusieurs kilos, la chaleur devient de plus en plus insupportable.

Les pirates "infestent" les côtes de la capitale somalienne. En mars dernier, ils n’ont pas hésité à tirer au lance-roquettes sur un croiseur ainsi que sur un destroyer de l’US Navy.

Sur le pont arrière, les commandos descendent sur les zodiacs. Eux aussi armés jusqu’aux dents, ils ont rendez-vous à deux miles du port avec les soldats de la Force de paix de l’Union africaine en Somalie (Amisom) pour leur transférer la responsabilité du Victoria.

Le Pacha n’a "aucune idée" de ce qu’il advient des denrées, une fois celles-ci déchargées. Quant aux soldats de l’Amisom, ils n’en savent pas vraiment plus. Ils surveillent le déchargement des vivres, mais une fois les camions du PAM sortis du port, la responsabilité de la marchandise n’est plus de leur ressort.

Le périple des denrées n'est pourtant pas terminé. Transportées à travers le pays, elles vont croiser, sur leur route, des barrages tenus par des "seigneurs de guerre" et essuyer des attaques de pillards. L'expédition est dangereuse. En janvier, deux employés du PAM ont été abattus, une balle logée entre les deux yeux.

L'équipage du commandant Menut, lui, repart vers Mombasa avec le sentiment du devoir accompli.