Le mouvement de contestation au Québec prend de plus en plus d’ampleur. FRANCE 24 a interrogé Christian Rioux, correspondant à Paris du quotidien québécois "Le Devoir", sur les tenants et les aboutissants de ce printemps érable.
Alors que le conflit entre les étudiants et le gouvernement canadien, autour de la hausse des droits de scolarité dans les universités, atteignait mardi 22 mai son centième jour, Montréal a été le théâtre de manifestations massives. Une mobilisation sans précédent pour défendre notamment le droit de manifester. En cause : une loi spéciale adoptée la semaine dernière par le gouvernement pour mettre fin au mouvement des étudiants. Christian Rioux, correspondant à Paris du quotidien québécois "Le Devoir", décrypte la situation.
FRANCE 24 : Comment expliquer l’ampleur de la fronde étudiante qui secoue le Québec depuis plusieurs mois ?
Christian Rioux : Ce mouvement s’inscrit dans un contexte particulier. Dans les années
1960, le rapport Parrain sur l’éducation avait préconisé la gratuité des frais de scolarité, mais cela n’avait pas pu se faire à l’époque notamment pour des questions économiques et politiques. Un compromis avait été trouvé avec le gel des frais de scolarité. Et il y a au Québec, depuis 25 ans environ, un consensus social pour geler ces frais. Il faut aussi savoir que le Québec a toujours été caractérisé par le faible coût de ses universités. Il se différenciait en cela du reste du Canada et des États-Unis voisins, se rapprochant plus d’un modèle européen. Hors l’annonce du Premier ministre concernait une hausse importante et abrupte. Le gouvernement l’a en effet présentée comme quelque chose d’inévitable en la justifiant par les exigences de la mondialisation.
Il y a eu au Québec de grandes manifestations dans les années 1960 et des mobilisations sociales dans les années 1970, mais jamais elles n’ont été aussi longues. En outre, c’est la première fois qu’on assiste à une telle opposition frontale entre étudiants et gouvernement. Ce sont deux conceptions de l’éducation qui s’affrontent. Les étudiants québécois ont historiquement toujours été attachés au faible coût des études, et là c’est un autre modèle qu’on leur propose sous prétexte de mondialisation. C’est pourquoi le mouvement a pris une telle ampleur.
FRANCE 24 : Les grands syndicats, et les écologistes ont apporté leur soutien au mouvement étudiant, et mardi c’est le droit de manifester que les Québécois ont voulu défendre. La contestation n’a-t-elle pas dépassé la question des droits de scolarité ?
Christian Rioux : Aujourd’hui, on peut en effet dire que le mouvement a largement débordé le conflit entre les étudiants et le gouvernement. On sent un fond de contestation contre le gouvernement en place. Le Premier ministre Jean Charest en est à son troisième mandat et compte bien en briguer un quatrième probablement à l’automne. La crédibilité du gouvernement est d’autant plus entachée que plusieurs membres ont été éclaboussés par des scandales de corruption.
Concernant la loi adoptée la semaine dernière visant à encadrer les manifestations, c’est à mon sens une mesure folle. Notamment parce qu’elle est inapplicable : elle implique de prévenir à l’avance du trajet de la manifestation, hors on n'a pas l’habitude de faire ce genre de choses au Québec. Mardi, par exemple, des dizaines de milliers de personnes ont enfreint la loi.
FRANCE 24 : Comment voyez-vous l’évolution du mouvement ?
Christian Rioux : Il y a eu un début de négociation entre le gouvernement et les syndicats d’étudiants, mais qui n’a rien donné. Les manifestations de mardi, massives, ne laissent pas penser que le mouvement va faiblir. Personnellement, je vois mal comment les politiques peuvent s’en sortir sans amorcer un recul. Ils pourraient par exemple décreter un moratoire ou quelque chose d’autre qui calmerait le jeu.
Mais au-delà de ce mouvement, toute cette crise est vraiment le signe qu’il doit y avoir au Québec une réflexion, un grand dialogue sur l’éducation et le modèle que l’on veut avoir. C’est un débat qui n’a jamais eu lieu, et on ne peut pas compter sur l’actuel gouvernement pour le faire.