, correspondante au Liban – Israël poursuit, à sa frontière avec le Liban, l'édification de murs autour de son territoire. Le chantier ne trouble pas les habitants du Sud-Liban, persuadés qu’il témoigne de la "peur" de leur voisin.
La route qui longe le village de Kfar Kila, niché au bord de la frontière israélo-libanaise, connaît une activité inhabituelle. Des dizaines de Casques bleus du bataillon espagnol de la Force intérimaire des Nations unies (Finul), des soldats libanais, des membres des services de renseignements, se croisent dans d'incessants allers et venues… Un journaliste d’Al-Manar, la chaine de télévision du parti chiite Hezbollah, est, lui, à la recherche du portait d’un "martyr" qui était affiché là où sont désormais garés des véhicules blindés. De l’autre côté de la Ligne bleue, l’État hébreu a entamé le 30 avril des travaux de construction d’un mur d’un kilomètre de long et d’environ six mètres de haut, pour un coût de 2,6 millions d’euros.
Quelques ouvriers israéliens, deux pelleteuses… Sur 200 mètres environ, des blocs de béton ont déjà remplacé le double grillage qui délimitait auparavant la frontière. L’opération a été avalisée par la Finul et l’armée libanaise à l’occasion d’un sommet tripartite, le 23 février. En quelques jours, les travaux ont été suspendus à deux reprises. L’armée libanaise, qui s’est retirée brièvement de la zone, a notamment dénoncé une violation de la Ligne bleue, une allégation finalement rejetée par la Finul.
Objectif de ce mur, selon l’armée israélienne ? Empêcher des tirs contre les colonies de Metula et Meskafaam, dont les maisons blanches aux toits de tuile se dressent à environ un kilomètre de la frontière. Côté libanais, cette explication ne convainc pas. "Il n’y a pas eu un incident ou un tir depuis la guerre de 2006, affirme Nagib Halawi, l’un des maires de Kfar Kila. C’est une sorte de test : les Israéliens veulent voir comment nous allons réagir..."
"Les Israéliens ont peur !"
"La principale raison à ce mur est d’ordre psychologique, assure de son côté Abou Mohammed, qui tient une station service. Les Israéliens ont peur ! Beaucoup de gens se promènent sur cette route qui longe la frontière. Ils ne veulent pas que l’on voie ce qu’ils font, comment ils vivent…"
"Nous, nous n’avons pas peur, continue le commerçant. Sinon, c’est nous qui aurions construit ce mur ! Combien de fois Israël viole-t-il la frontière [les violations aériennes sont quasi quotidiennes, ndlr] ? Combien de fois le Hezbollah ou l’armée libanaise violent-ils la frontière ? Israël est le seul État au monde à s’entourer de barrières aussi épaisses."
Outre la clôture qui ferme la bande de Gaza, l’État hébreu a érigé un mur de séparation de plusieurs centaines de kilomètres autour de la Cisjordanie. Une barrière est également en cours de construction le long de la frontière israélo-égyptienne, ainsi qu’une muraille métallique, censée empêcher les infiltrations venues de Syrie, sur le plateau du Golan.
Pour Karim Makdisi, professeur à l’Université américaine de Beyrouth et spécialiste des relations israélo-arabes, ce phénomène souligne l’échec de la politique israélienne. "C’est leur façon de faire face aux problèmes : ils s’enferment entre des murs. Ils veulent montrer qu’ils sont assiégés pour que la communauté internationale se préoccupe de leur situation, alors qu’ils refusent toute discussion."
"Effacer l’histoire de la frontière"
Devant la porte de Fatima à Kfar Kila, deux Casques bleus montent la garde sur le rond-point central. Les jours de congés, de nombreux touristes font étape sur cette place symbolique. Au début de la guerre civile libanaise, en 1976, les Israéliens y ont ouvert ce passage pour venir en aide aux chrétiens, alors en lutte contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Fatima, une Libanaise blessée par les combats, est transportée vers l’hôpital israélien de Ramat Gan. À son retour, la porte - aussi appelée "passage du bon mur" - reste ouverte ; elle prend par la suite le prénom de la jeune femme…
Cette place, la plus proche d’Israël sur le territoire libanais, a, depuis, régulièrement accueilli des manifestations de réfugiés palestiniens, qui viennent contempler leur pays à travers le grillage. Les Libanais n’ont accès à cette région que depuis le retrait israélien du Sud-Liban obtenu il y a tout juste 12 ans, en mai 2000, après deux décennies d’occupation. "Les Israéliens ne veulent plus que les Palestiniens viennent voir leur terre, dénonce Abou Mohammed. Ils veulent effacer toute l’histoire de cette frontière."
Abou Hussein, lui, s’inquiète pour ses affaires. Membre du Hezbollah, il tient l’une des épiceries qui donnent sur la place et fera bientôt face au mur. Juste à côté, un jardin fleuri et équipé de jeux pour enfants, financé par l’Iran, a vu le jour l’an dernier. Depuis le café situé juste en face s’étalent des champs verdoyants, le Mont Haramoun, le plateau du Golan, la Haute-Galilée… Un paysage qui disparaîtra d’ici quelques semaines derrière le béton. "Le propriétaire du café a investi beaucoup d’argent mais il va devoir fermer, regrette Abou Hussein. Tout le monde va fermer. Moi aussi je vais partir."
Le calme ou la guerre totale
Malgré ces inquiétudes, les travaux n’ont pas troublé la quiétude de Kfar Kila. "Nous n’avons même pas été voir le chantier", assure Ali Awada, un autochtone. Pour les habitants, le conflit est loin de se résumer à un kilomètre de mur. "Il n’y aura jamais de paix avec Israël, assure avec le sourire le maire Nagib Halawi. Un jour, la "Résistance" fera disparaître cette frontière. La guerre va venir…"
Selon le politologue Karim Makdisi, le mur est en effet "purement symbolique". "Bien sûr, il peut empêcher des jets de pierres. Mais le Hezbollah a des armes qui peuvent frapper profondément Israël. S’il y a une guerre, ce sera un conflit généralisé, mais au quotidien tout est calme. Je crois que les Libanais regardent cela avec une sorte d’amusement : Que croient régler les Israéliens avec ce mur ?"
En attendant, les habitants de Kfar Kila parlent déjà tous d’un autre projet : la construction d’une corniche surélevée au niveau du mur, pour pouvoir continuer à se promener en admirant la vallée…