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La présomption de légitime défense s’invite dans le débat présidentiel

Présomption de légitime défense pour Nicolas Sarkozy, maintien du salaire tant qu'un policier "n'est pas jugé" pour François Hollande. Le drame de Noisy-le-Sec divise les candidats à l'élection présidentielle.

Campagne présidentielle oblige, le fait divers a pris un tour politique. Tenus au devoir de réserve, plusieurs centaines de policiers ont bravé l’interdit de la loi pour exprimer leur colère cette semaine et montrer leur soutien à leur collègue mis en examen pour "homicide volontaire", accusation rare pour un gardien de la paix. Le policier, qui a tué Amine Bentounsi, un délinquant multirécidiviste de 28 ans en fuite, samedi dernier à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), dit avoir agi en légitime défense. Une version qu’un témoignage et l'autopsie révélés par le parquet contredisent. Faut-il mettre en place la "présomption d’innocence" que demandent certains syndicats de police? La question divise. Les candidats à l’élection présidentielle se positionnent.

Rappel des faits

L'affaire remonte au samedi 21 avril. Quatre policiers de Noisy-le-Sec se mettent à la recherche d’un homme âgé de 28 ans poursuivi pour plusieurs vols à main armée commis dans le centre-ville. Les trois policiers commencent les recherches à pied tandis que le quatrième reste en voiture. Ce dernier explique aux enquêteurs s’être retrouvé face au fugitif, armé d’un révolver et d’une grenade, qui l’aurait "visé en tendant son bras armé vers lui". Le policier affirme avoir tiré à quatre reprises sur l’individu, qui est décédé peu de temps après.

Le témoignage d’un automobiliste fait état d’une version différente dans laquelle un homme fait feu sur un fuyard au cours d’une course-poursuite. Par ailleurs, le rapport de l’autopsie indique que la victime a été "mortellement touchée par une balle entrée à l'horizontale dans son dos". Le parquet avance également que l’homme en fuite n’a pas fait usage de son arme approvisionnée et que la grenade était "inoffensive", ce que les  policiers ne pouvaient pas savoir. Le parquet ouvre dans un premier temps une information judiciaire pour "violences volontaires avec arme par une personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Mais devant les contradictions des témoignages, le juge d'instruction aggrave la qualification en retenant "l'homicide volontaire".

Nicolas Sarkozy favorable à la présomption de légitime défense

Si les deux candidats à la présidentielle affirment comprendre la colère des policiers, ils ne sont

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Extrait de l'émission "Des Paroles et des actes" diffusée sur France 2, jeudi 26 avril.
La présomption de légitime défense s’invite dans le débat présidentiel

pas d’accord en revanche sur la manière de régler la question. A l’occasion de son meeting en Seine-Saint-Denis, Nicolas Sarkozy, qui a reçu une délégation de policiers à la mairie de Raincy, s’est dit favorable à la mise en place de la "présomption d’innocence" que réclament certains syndicats de policiers. "Je suis du côté des fonctionnaires de la République, voilà la réalité. Que la justice dise le droit et nous nous inclinerons, mais je demande que le droit de la légitime défense évolue dans un sens plus protecteur pour les policiers." Et l’ancien ministre de l’Intérieur d’ajouter : "Il doit y avoir une présomption de légitime défense car dans un État de droit, on ne peut pas mettre sur le même plan un policier dans l'exercice de ses fonctions et le délinquant dans l'exercice de ses fonctions à lui". Sur France 2, dans l’émission "Des Paroles et des actes", le président-candidat s'est toutefois défendu de vouloir "donner un permis de tuer à un gendarme ou à un policier".

Comme Marine Le Pen

Le huitième point du volet sécurité du programme de Marine Le Pen stipule la "mise en place d’une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre concernant l’exercice de leurs fonctions sur le modèle de la gendarmerie nationale." Une occasion toute trouvée pour Marine Le Pen d’accuser Nicolas Sarkozy de chasser sur ses terres et de saluer une nouvelle fois la "victoire idéologique" du Front national. Les gendarmes, eux, ne bénéficient pas de cette présomption mais simplement d'une latitude plus extensive que les policiers pour utiliser leur arme.

En janvier, le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, avait d'ailleurs réagi à la proposition frontiste en assenant qu’"on ne peut pas donner aux policiers un permis de tuer".

François Hollande plaide pour la "protection administrative"

Quelques heures plus tard dans la journée du jeudi 26 avril, François Hollande a reçu les syndicats policiers à son QG de campagne parisien rue de Ségur. Le candidat socialiste a manifesté "sa compréhension" à l'égard des policiers en colère. "Je sais qu'ils font un travail très difficile, travail qui peut les conduire à se mettre eux-mêmes en danger lorsqu'ils poursuivent des malfaiteurs qui sont prêts à tout. Je veux leur dire ma compréhension par rapport à leur colère de voir leurs moyens réduits." Sans  reprendre l’idée de présomption de légitime défense, le candidat PS préconise pour sa part une "protection administrative" des policiers en pareille circonstance et le maintien du salaire tant que le policier n’a pas été condamné par la justice.

Justice versus police

Matthieu Bonduelle, juge d'instruction à Bobigny et secrétaire général du Syndicat de la magistrature, rappelle pour sa part que "la suspension du salaire ne relève pas de la justice mais de l’employeur, donc du ministère de l’Intérieur". "En revanche, poursuit-il, c’est la justice qui interdit au policier incriminé de travailler." Dénnonçant une récupération politique, le magistrat estime que le débat autour du changement de la loi n’a pas de sens dans la mesure où la présomption d’innocence est de mise pour un policier au même titre que n’importe quel citoyen.

Selon Matthieu Bonduelle, le débat porte autant sur la responsabilité pénale des policiers que sur les relations parfois tumultueuses qui existent entre la justice et la police. En décembre 2010, des policiers de Seine-Saint-Denis avaient déjà manifesté après que le parquet de Bobigny avait condamné leurs collègues à des peines de six à un an de prison ferme pour avoir accusé à tort un homme qui risquait la réclusion à perpétuité.