À quelques jours du premier tour de la présidentielle, de nombreux jeunes semblent être toujours indécis sur leur intention de vote. En cause : les candidats qui ne s’adressent pas à ces électeurs volatiles.
Quel bulletin glisser dans l’urne ce dimanche 22 avril ? Nombreux sont les jeunes qui semblent ne pas encore avoir arrêté leur choix. Selon une étude Ifop-L’Etudiant datée du mois de mars sur les primo-votants (18-22 ans) et la perspective de la présidentielle, 59 % des jeunes n'étaient pas encore sûrs de leur choix, contre 32 % des Français.
C’est le cas de Sheela, 19 ans, étudiante en BTS. "Je me pose encore des questions et j’ai beaucoup d’amis autour de moi qui sont dans le même cas", indique-t-elle. "Non seulement la campagne est peu enthousiasmante, mais en plus on a du mal à se retrouver dans les programmes des candidats qui ne proposent pas grand-chose pour nous, les jeunes". Même son de cloche chez Arnaud, 23 ans, étudiant en école d'ingénieur : "J’ai une petite idée sur le candidat que je souhaiterais faire aller au second tour mais je me donne encore du temps avant d’avoir un avis définitif", dit-il.
Pour le chef de groupe du département Opinions et Stratégies de l'institut Ifop, François Kraus, cette indécision n’est guère surprenante. "C’est un électorat moins mobilisé, moins constant et moins certain de ses choix", indique-t-il. Anne Mexel, chercheur pour le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), estime pour sa part que les jeunes ne disposent pas de repères ni de grilles de lecture aussi structurées que leurs aînés pour faire leur premier choix. En 2007, les jeunes étaient 31 % à avoir opté pour un candidat le jour même du scrutin, selon le Cevipof.
Forte abstention
Pour inciter les jeunes à se rendre aux urnes le 22 avril, plusieurs campagnes de mobilisation ont été réalisées.
Les agences de communication contre l'Abstention ont voulu montrer aux Français que leur vote les met en position de force, tel un recruteur faisant passer un entretien d'embauche, dans un clip intitulé "C'est vous le patron".
La ville de Rennes a demandé à quatre jeunes du quartier Villejean, composant le groupe C4 Musik, de réaliser un clip branché, intitulé "Allez voter".
L’association de promotion des jeunes talents cinéastes 1000 Visages s'est aussi mobilisée : douze acteurs-réalisateurs ont confectionné des courts-métrages pour promouvoir le vote des jeunes dans les quartiers populaires. (Voter, ma fierté).
Or, cette indécision laisse craindre une forte abstention, chez les politologues. Si en 2007, les jeunes s’étaient massivement rendus aux urnes lors du premier tour (84% des jeunes), bien plus qu’à la présidentielle de 2002 (70%) et qu’aux législatives de 2007 (52%), François Kraus prédit une faible mobilisation de leur part cette année. Selon l’étude Ifop datée d'avril et portant sur l'électorat étudiant, 39 % des sondés pensent ne pas aller voter - contre 32% parmi l’ensemble des électeurs.
Pour éviter cela, plusieurs associations se mobilisent afin de pousser les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales et faire la démarche de voter. C’est le cas de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev), qui lutte contre les inégalités dans les quartiers populaires en créant notamment un lien entre les jeunes en difficulté et les étudiants. Volontaire de l’association, Rija Ranaivo, 21 ans, a constaté un réel désintérêt des jeunes pour la campagne en sillonnant le département de Seine-Saint-Denis, en région parisienne : "Il est malvenu de parler de politique dans les quartiers défavorisés, raconte l’étudiant en arts plastiques. Beaucoup ont renoncé à l’idée de voter car ils pensent que cela ne sert à rien".
Pour justifier ce détachement, Riva pointe du doigt les candidats qui n’ont pas cherché à s’adresser aux jeunes et à comprendre leurs problématiques telles que l’emploi, le pouvoir d’achat, l’éducation ou encore le logement. "Ils nous vendent du rêve comme Jean-Luc Mélenchon qui propose un smic à 1700 euros, ou Nicolas Sarkozy qui propose l’obtention du code de la route au lycée", commente-t-il. Je trouve qu’ils manquent de réalisme, sauf peut-être François Hollande qui dit vouloir ‘combattre le chômage qui touche les jeunes’ et ‘placer l’éducation et la jeunesse au cœur de l’action publique’". Or les quelque 6 millions de jeunes français (18-24 ans) – dont 2 millions d’étudiants- représentent 13 à 15 % du corps électoral, une cible non négligeable pour les candidats.
Clivage gauche-droite chez les étudiants
Selon l’étude Ifop sur le comportement électoral des étudiants, c’est François Hollande qui séduit le plus pour le premier tour : 30 % d'entre eux se disent prêts à voter pour le candidat socialiste, contre 28 % pour Nicolas Sarkozy. "On constate un réel clivage gauche-droite car la droite réalise un score important dans les grandes écoles et les filières sélectives", analyse François Kraus. On peut observer des filières privilégiées pour l'un ou l'autre candidat au 2e tour. Le président sortant recueille ses meilleurs scores en facultés de médecine ou pharmacie (81 %), en école d'ingénieur (75 %) et dans les classes prépa (61 %). Le candidat PS, lui, est majoritaire chez les BTS (57 %) et dans toutes les filières universitaires (hors médecine), avec un pic en lettres et sciences humaines (79 %).
Par ailleurs, le candidat du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon glanait 15% des intentions de vote chez les étudiants en mars 2012 contre 11% pour sa rivale frontiste Marine Le Pen. Un score qui peut être mis en perspective avec les 26% d’intentions de vote que Marine Le Pen obtiendrait chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans selon un sondage CSA/Le Monde daté du 9 avril, devançant ainsi François Hollande (25%), Nicolas Sarkozy (17%) et Jean-Luc Mélenchon (16%).
Les pro-FN, des jeunes non diplômés
Spécialiste du Front national et chercheur à l'université de Nanterre, Sylvain Crépon analyse la progression des candidats populistes du côté de la jeune génération. "Le contexte de crise économique est un facteur d’inquiétude et de pessimisme qui incite à voter pour les extrêmes", indique-t-il. Et de nuancer : "Il ne s’agit toutefois pas des mêmes jeunes : le candidat du Front de gauche attire un électorat inséré socialement et politisé tandis que sa rivale du Front national séduit les jeunes non diplômés".
La ferveur envers Marine Le Pen est également due à sa personnalité, ajoute Sylvain Crépon. "Marine Le Pen a réussi à déringardiser le discours frontiste et à la rendre audible à tous. Elle jouit d’une certaine popularité chez les jeunes, même ceux qui ne votent pas pour elle". Et de préciser qu’elle profite d’un vote protestataire et non d’adhésion. "C’est tout le paradoxe de ces jeunes qui votent pour elle sans pour autant cautionner les fondamentaux du parti sur la sécurité et l’immigration".